Sécession ? 3 : Pulsion décentraliste

Discours marquant

Quelques trois semaines avant les élections américaines de novembre 2020, Jeff Deist, Président du Mises Institute, a tenu un discours qui nous a semblé mériter une traduction, dans la mesure où le propos, quoique s’adressant à des Américains, nous semble transposable à notre réalité française.

Voici la dernière partie de ce discours, la première étant ici et la deuxième ici.

Bonne lecture – Mises Institute France

Grande transhumance

Maintenant, ici en Amérique, parlons de la grande transhumance qui se produit. Cet incroyable mouvement de gens hors des villes, je veux dire ; quel est le charme de New York, Manhattan ou Chicago sans les restaurants, les théâtres, la nourriture et les musées, je veux dire ? Vous savez, cela tend à être : loyer élevé, criminalité élevée, aucun plaisir.

Nous pourrions ainsi constater que bien des jeunes commencent à repenser les choses, et je pense que cette forme de sécession de facto loin de ces grandes villes, qui tendent à être très très à gauche, est une évolution merveilleuse à voir, parce qu’une partie de ce pouvoir politique que les grandes villes tendent à détenir va être atténuée ; vous savez, Atlanta a tendance à contrôler la Géorgie, Nashville contrôle de plus en plus le Tennessee.

Nous voyons cela dans beaucoup d’États, Las Vegas contrôle le Nevada, mais si les gens commencent à s’éloigner de ces grandes villes, alors une partie de ce pouvoir politique s’en va de même avec eux.

Route new-yorkaise avec Taxi
Quel est le charme et l’intérêt de villes mortes du COVID ?

Pulsion décentraliste

Cette pulsion décentraliste, qui est en fait l’histoire inédite du XXIe siècle, nous la voyons dans les entreprises, et dans la façon dont elles organisent et gèrent leurs équipes ; désormais, nous allons avoir toutes sortes de télétravail, où, je pense, il y a à boire et à manger, mais qui se produit néanmoins, d’une façon ou d’une autre.

Si nous regardons les systèmes de distribution, vous savez ce qu’était le vieux modèle en étoile, pour obtenir vos produits, votre catalogue J.C. Penney ou autre il y a 40 ans, pour avoir ce pull, eh bien, regardez maintenant des entreprises comme Amazon, qui ont une sorte de système très décentralisé en toiles d’araignées. Donc la distribution des biens et des services devient radicalement décentralisée.

Comment obtenons-nous l’information ? Il n’y a pas si longtemps, il suffit de remonter à 30 ans, il fallait aller dans un centre commercial local ou autre, et ils pouvaient avoir un « Free to Choose » de Milton Friedman, ou « L’Ère d’opulence » de John Kenneth Galbraith ; ils n’avaient pas du Rothbard.

Les bibliothèques, les universités et les professeurs étaient donc presque les nouvelles versions des moines, n’est-ce pas, c’étaient les lettrés, il fallait aller les voir pour obtenir de l’information. Mais ce n’est plus le cas, vous avez dans votre poche un objet de la taille d’un paquet de cartes, qui contient en gros toute l’histoire de l’humanité.

C’est donc extrêmement décentralisé. Et bien sûr, ce que nous voyons actuellement dans la révolution de l’éducation est absolument phénoménal. Je veux dire que même avant l’arrivée du Covid, nous avions la Khan Academy et toutes sortes de nouvelles plateformes voyant le jour, et nous avons eu la crise des prêts étudiants et nous avons eu des parents se demandant, vous savez, à quoi bon envoyer leurs enfants à l’école pour 40.000$ par an, afin qu’ils puissent obtenir un diplôme qui ne leur donnerait pas d’emploi ; et quand ils rentrent à la maison, après ces quatre années, ils vous détestent. Il s’avère que ce n’est pas une si bonne proposition de valeur.

Faits heureux

Et bien sûr, l’argent et la banque elle-même sont de plus en plus décentralisés. Nous avons toutes sortes de passerelles de paiement désormais, nous avons des choses comme PayPal, nous avons des choses comme BitCoin et donc c’est vraiment juste cette couche supérieure de banque tourne encore dans les grandes banques.

Toutes ces choses sont donc des faits heureux. Et je pense que nous devrions acclamer toutes ces choses et y penser lorsque nous considérons le paysage politique, car je ne suis pas si sûr que ce qui compte pour notre avenir immédiat soit la victoire de Trump ou de Biden, je pense que nous savons tous ce qu’est Biden, ce qu’il fera ; nous ne savons pas ce qu’est Trump et ce qu’il fera. (rires)

C’est ce que cela signifie d’être Trump. Mais néanmoins, je pense que certaines de ces poussées qui se produisent sont inexorables. Je ne suis pas sûr que même Kamala Harris ou Joe Biden puissent les arrêter.

Et je pense que nous devons nous en réjouir. Mais ce qui est intéressant, c’est que la seule chose qui semble encore terriblement centralisée, dans notre monde, c’est le monde politique.

En d’autres termes, dans tous les autres domaines de la vie, toutes ces choses que je viens d’évoquer, la décentralisation est une chose qui se fait naturellement, elle se fait par la force du marché, elle se fait inexorablement et elle se fait par le libre choix des gens.

La centralisation, c’est l’État

Mais le seul domaine de notre vie où nous acceptons encore une centralisation répugnante et toutes les inefficacités qu’elle entraîne, c’est l’État. Tant de choses qui autrefois se décidaient au niveau régional, des divers États et en local -excusez-moi- au niveau de la ville se décident désormais au niveau régional ou de l’État ; des choses qui se décidaient autrefois au niveau des États se décident au niveau fédéral, et parfois même au niveau international.

C’est vraiment l’histoire politique du XXe siècle, la centralisation de la politique à des niveaux de plus en plus élevés, ce qui est bien sûr antidémocratique, même si tous ces gens nous parlent de notre démocratie sacrée.

Chaque niveau de pouvoir qui est plus éloigné de vous est par définition obscurci, est moins démocratique parce que votre contribution et votre consentement, soi-disant, leur sont de moins en moins palpables.

Mais je me demande s’il n’y a même pas des signes d’espoir concernant la politique et la décentralisation du pouvoir politique.

Ancienne Europe

Lors d’un événement tenu l’automne dernier à Vienne, en Autriche, Hans-Hermann Hoppe participait à un panel et une chose qui m’a frappé dans ses propos, c’est que si on observe les poussées nationalistes des XIXe et XXe siècles, le patchwork de l’ancienne Europe s’est combiné, vous savez, si on pense à l’Allemagne par toutes ces principautés et régions et à la Bavière et la Prusse et tout cela, vous savez.

Ces zones se sont assemblées, il a dit que le nationalisme aux XIXe et XXe siècles était surtout une poussée centralisatrice. C’est ce que le nationalisme signifiait et bien sûr, quand il devient belliqueux, et qu’il déborde de ses frontières, on obtient de l’agressif, on obtient l’Allemagne nazie, là, ou des choses semblables.

Mais il dit qu’au XXIe siècle, de son point de vue, les mouvements de nationalisme tendent à être décentralisateurs. En d’autres termes, ils s’éloignent de ce type de modèle de gouvernement mondial que nous pensions tous être notre avenir à la fin du XXe siècle, vous souvenez-vous, la Fin de l’Histoire ? (Francis Fukuyama)

Hoppe dit que si l’on regarde des choses comme le vote du Brexit, si l’on regarde ce qui se passe dans des pays comme la Pologne et la Hongrie, si l’on regarde le mouvement de sécession catalan, à Barcelone, dans la région catalane d’Espagne, dit-il, il s’agit en général de mouvements sécessionnistes décentralisés et dissidents. Donc c’est cela la différence entre certains des mouvements nationaux d’aujourd’hui et ceux d’antan.

#USAEXIT ?

Et je pense que cela va bientôt arriver dans une ville des États-Unis près de chez vous. Je veux dire, ce discours devient vraiment une réalité. Ryan McMaken, le rédacteur en chef de mises.org, (je l’ai vu tout à l’heure, il est ici aujourd’hui, dites-lui bonjour si vous ne l’avez pas rencontré) vient d’écrire un article sur la façon dont même les publications grand public parlent maintenant fort ouvertement et sérieusement de sécession. Et je pense que c’est parce qu’à un certain niveau, nerveusement, ils pensent encore que Trump pourrait gagner.

Je pense que c’est ce qui motive cette poussée. Mais il y a des gens très sérieux à gauche et à droite, pas des radicaux aux yeux de fou comme moi (rires), qui en parlent depuis plusieurs années. Frank Buckley, professeur de droit à l’université George Mason -oh on ne peut plus dire ça, c’est GMU. Il s’avère que George Mason avait un ou deux esclaves, désolé. (rires)

GMU, donc. Il a écrit un livre très sérieux sur ce à quoi la sécession pourrait ressembler il y a tout juste un an, et c’est un conservateur sobre. De même, Angelo Codavilla, qui écrit pour l’Institut Claremont et qui est un professeur en retraite de l’Université de Boston, je crois de lettres classiques, corrigez-moi si je me trompe, peut-être de philosophie, a écrit un article en 2017 intitulé « La guerre civile froide ».

Vous le trouverez sur le site web claremont.org. Encore une fois, vous savez, un conservateur très sobre et sérieux, le genre de type qui utilise encore un vocabulaire tel que « stature politique », vous voyez ce que je veux dire. Et ils en parlent un peu comme les gens de gauche, dans des endroits comme le New Republic et le Nation, en parlent comme jamais auparavant.

Gavin Newsom, le gouverneur de Californie, a utilisé, a appliqué le terme « État-nation » à son propre État. Et bien sûr, si ce qui se passera à l’automne dans un mois, je suppose, c’est que d’une manière ou d’une autre Trump parvient à gagner cette élection, je ne sais pas à quoi cela va ressembler; je pense que nous allons d’abord assister à un déferlement de chagrin, de psychose et de pure violence de la part d’une part significative du pays, à laquelle nous ne sommes simplement pas préparés.

Mais je pense que lorsque cela s’atténuera, vous verrez simplement les gouverneurs d’Etats Démocrates dire non, on s’en va. Et tout ce discours de villes sanctuaires deviendra de plus en plus prononcé. Et je pense que ce sera une chose belle et saine pour ce pays.

Un américain sur 4 favorise la sécession étatique.
Les faits sont déjà là…

Nouvelle reconstruction ?

Maintenant, le revers de la médaille – et quand je dis qui gagne l’élection, je devrais dire qui est réellement investi en janvier et nous ne savons rien de ces bulletins de vote – un postier, vous savez, des facteurs les déposant dans les égouts ou quoi que ce soit d’autre – mais quel que soit le vainqueur, si Joe Biden et Kamala Harris sont investis, je pense que ce que vous allez voir n’est rien d’autre qu’une nouvelle reconstruction en Amérique.

Je pense que vous allez voir des tentatives franches et ouvertes, de tentatives jubilantes dans les médias, par ce genre de personnes, de s’imposer aux États Républicains et de les punir.

De les punir non seulement pour avoir eu l’audace de mettre Donald Trump à la Maison-Blanche à la place d’Hillary Clinton dont nous savions tous qu’elle allait gagner, mais surtout, à un niveau plus macro, pour être venus interrompre cet arc de l’Histoire auquel les progressistes croient si profondément. Cet arc selon lequel nous nous améliorons sans cesse et que nous ne cessons d’aller mieux, selon lequel le passé est toujours mauvais et rétrograde.

Avoir fait en sorte que cela soit inversé par Trump est un péché dont ils ne se sont pas encore remis. Donc, si Biden et Kamala Harris gagnent, vous allez voir les choses se passer comme suit : tout d’abord, la réduction de la toute TVA des impôts d’État sera immédiatement réintroduite, afin que ces États Démocrates puissent recommencer à déduire des choses.

Mais je pense que vous verrez cela d’une multitude de façons, je pense que vous verrez une sorte de déferlement, un déferlement collectif de la gauche qui veut utiliser l’État [fédéral] comme une sorte de viseur laser, vous savez, pour nous matraquer, nous autres.

Stratégie de sortie

Et je pense que cela amènera les gens des États Républicains et les électeurs des Etats Républicains à réfléchir très sérieusement à une stratégie de sortie.

J’aimerais pouvoir vous donner plus d’espoir que cela car, comme je l’ai déjà dit, le problème ici est que rien ne suit des lignes géographiques précises. Mais les lignes sont néanmoins là et nous ne pouvons pas les ignorer.

Donc, je vais conclure avec ceci : Tom Woods, notre ami qui a parlé tout à l’heure, nous a rappelé que les arrangements politiques existent pour nous servir, et non l’inverse. Bon, qui diable a dit que nous devons supporter tout cela, pouvons-nous changer les nôtres sans effusion de sang, c’est la question de ce XXIe siècle. Je pense que la question du XXe siècle était socialisme contre propriété, je pense que la question du XXIe siècle est centralisation contre décentralisation.

Ainsi, dans l’Amérique post-persuasion, où nous semblons vivre, ce n’est pas seulement une question d’erreur intellectuelle. Il ne s’agit pas seulement de convaincre les universitaires, les journalistes et les hommes politiques que notre cause est juste et qu’ils devraient être d’accord avec nous.

Car il s’agit aussi d’intérêt personnel et de pouvoir. Et ils ne voient pas pour eux une voie vers un plus grand intérêt personnel et un plus grand pouvoir dans le genre de société dans laquelle nous tous dans cette salle préférerions vivre. Et ils ne sont pas prêts à nous laisser faire sans effort de notre part. Et je jure, oh je ne devrais pas dire « je jure », j’espère très fortement que cette voie n’implique pas un bain de sang.

Mais il y a des raisons d’être optimiste, il y a une poussée décentralisatrice qui fait son chemin à travers le monde, elle arrive en Amérique, et je pense que c’est là que nous devons mettre nos espoirs et nos efforts. Merci beaucoup.

Jeff Deist

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