Comment les lois sur la propriété intellectuelle étouffent l’innovation

L’innovation a longtemps été considérée comme la force vive du progrès humain, menant les avancées en technologie, médecine et d’innombrables autres domaines qui améliorent notre qualité de vie. En son cœur, le “droit d’innover” représente la liberté d’expérimenter, de développer, et de mettre en œuvre de nouvelles idées sans restrictions injustifiées. Ce droit recouvre la possibilité d’accéder au savoir fondamental, collaborer avec autrui, et propager des découvertes au bénéfice de la société. Cependant, le paysage de l’innovation est de plus en plus façonné par les lois sur la Propriété Intellectuelle (PI) – les interventions étatiques en apparence conçues pour protéger et favoriser la créativité, mais qui souvent finissent par étouffer l’innovation même qu’elles prétendent promouvoir.

Les lois sur la Propriété Intellectuelle, incluant les brevets, les droits d’auteur, et les marques déposées, accordent aux créateurs des monopoles temporaires sur leurs inventions ou expressions. Selon Stephan Kinsella :

“[…] Un brevet n’accorde en réalité au titulaire que le droit d’exclure (c-à-d, d’empêcher autrui d’exploiter l’invention brevetée) ; cela n’accorde pas réellement le droit au titulaire d’utiliser l’invention brevetée.”

L’intention affichée

L’intention affichée est de permettre aux innovateurs de recouvrer leurs investissements et profits issus de leur travail avant que d’autres puissent librement le copier. En théorie, cela fournit une motivation économique aux individus et entreprises à investir temps et ressources dans la recherche et le développement. Cependant, un examen critique révèle que les lois sur la PI créent souvent plus de barrières à l’innovation qu’elles en enlèvent.

Le concept de pénurie artificielle créé par les lois sur la PI à des conséquences profondes, au-delà d’un simple accès limité aux idées. Il altère fondamentalement le paysage de l’innovation en créant un jeu à somme nulle où le gain de l’un fait la perte de l’autre. Cet environnement nourrit une culture du secret et du protectionnisme, plutôt que d’ouverture et de collaboration.

Dans des domaines comme la recherche scientifique – comme Rothbard le souligne, les principes du marché libre sont suffisants pour encourager la recherche scientifique – ou le développement de logiciels, où le progrès dépend souvent d’un savoir existant, de telles barrières artificielles peuvent nettement ralentir le rythme des avancées. De plus, les ressources détournées pour maintenir et renforcer ces monopoles artificiels – par les honoraires juridiques, les dépôts de brevet, et les litiges – représentent un coût d’opportunité conséquent. Ces ressources pourraient plutôt être canalisées vers des recherches et développements plus poussés, accélérant potentiellement l’innovation dans divers secteurs.

Tangible et intangible

La distinction entre les droits de propriété tangible et intangible souligne une incohérence fondamentale dans le comment traiter différentes formes de création. Tandis que les droits de propriété physique sont d’ordinaire acceptés comme nécessaires pour éviter les conflits envers des ressources limitées, étendre ce concept aux idées crée une situation paradoxale où partager et construire sur le savoir – historiquement la pierre angulaire du progrès humain – devient interdit. Cette incohérence se révèle particulièrement problématique à l’ère numérique, où la frontière entre création tangible et intangible est de plus en plus floue. En l’espèce, la technologie d’impression 3D soulève des questions quant à la propriété des designs numériques ou des objets physiques. Alors que notre monde devient toujours plus numérique, se cramponner à des notions obsolètes telles que la propriété intellectuelle peut en venir à entraver l’innovation plutôt qu’à l’aider, suggérant le besoin d’une approche plus nuancée et souple pour encourager créativité et progrès à l’ère moderne.

Un des problèmes les plus flagrants des régimes de PI actuels est le phénomène des “enchevêtrement de brevets” – de denses pelotes de dépôts de brevets superposés qui rendent l’accès à un secteur extrêmement difficile pour les nouveaux innovateurs, sans empiéter par mégarde sur des brevets existants. C’est particulièrement marqué dans les industries pharmaceutique et technologique, où les entreprises brevettent agressivement des variations même mineures des produits pour étendre leurs monopoles. La pratique de “la capillarisation des brevets” chez l’industrie pharmaceutique, où les fabricants de médicaments s’assurent de nouveaux brevets pour des modifications infimes à des médicaments existants, illustrent combien les lois sur la PI peuvent être exploitées pour garder le contrôle du marché aux dépends de l’innovation et du bénéfice public.

“Bourreurs de brevets”

L’ascension des “bourreurs de brevets” illustre encore les incitations perverses créées par les lois sur la PI. Ces entités acquièrent des brevets larges et vagues non pas pour développer des produits, mais uniquement pour poursuivre les véritables innovateurs en justice pour utilisation abusive. Cette pratique parasite impose des fardeaux financiers et juridiques significatifs aux entreprises qui tentent sincèrement d’apporter de nouveaux produits sur le marché. Petites startups et inventeurs individuels, manquant de ressources pour se défendre d’une telle prédation judiciaire, sont particulièrement vulnérables. Le froid jeté sur l’innovation est palpable, car la peur de répercussions judiciaires en décourage beaucoup à poursuivre des idées potentiellement avant-gardistes.

Les lois sur la Propriété Intellectuelle créent aussi des barrières conséquentes à l’entrée, surtout pour les innovateurs des pays en développement. Les protections de PI strictes limitent souvent l’accès aux outils et savoirs essentiels, concentrant l’innovation dans les nations riches et laissant les pays en développement dépendants de technologies importées, mal-adaptées à leurs besoins spécifiques. Cette inégalité globale en capacité d’innovation est spécialement troublante dans des domaines comme les soins médicaux, où les restrictions liées à la PI concernant les médicaments de soin vital ont des conséquences funestes.

En outre, les lois PI peuvent restreindre la libre circulation de l’information cruciale pour l’innovation collaborative. En recherche universitaire, par exemple, les restrictions de droit d’auteur se pratiquant chez  les journaux scientifiques peuvent ralentir la diffusion du savoir, surtout envers les institutions et pays les moins aisés. De même, en développement de logiciels, la stricte protection des droits d’auteur peut interdire aux développeurs de modifier ou construire à partir de code existant, asphyxiant les améliorations de type itératif qui stimulent le progrès dans ce domaine.

Intérêt des innovateurs

Les soutiens aux lois de PI affirment que, sans de telles protections, les innovateurs auraient peu d’intérêt à investir dans la recherche et le développement. Ils avancent que la perspective de monopoles temporaires est nécessaire pour justifier le temps et les ressources importantes requises pour innover, surtout dans les domaines comme le pharmaceutique, où les coûts de développements sont astronomiques. De plus, ils défendent que les lois de PI récompensent la créativité et l’effort individuel, assurant que les créateurs puissent bénéficier financièrement de leur travail.

Pourtant, ces arguments tombent souvent à plat quand on les confronte à la réalité du phénomène d’innovation. Bien des inventions déterminantes à travers l’histoire ne furent pas motivées par la promesse de la protection d’un brevet, mais par la curiosité, la nécessité, ou le désir de résoudre des problèmes persistants. Le mouvement du logiciel open-source, qui a produit certaines des technologies les plus robustes et largement utilisées au monde, démontre que l’innovation peut prospérer en l’absence de régime restrictif des lois de la PI.

Le rôle de l’État dans l’innovation

Le rôle de l’État dans l’innovation via les lois de PI est un parfait exemple de combien des interventions soi-disant bien intentionnées peuvent mener à des conséquences négatives involontaires. En tentant de créer une pénurie artificielle dans le champ des idées – qui, contrairement aux biens matériels, peuvent être partagées indéfiniment sans s’altérer – les lois de PI ralentissent souvent le processus naturel de diffusion des savoirs et l’amélioration incrémentale qui stimule l’innovation.

Les critiques des réformes de la PI dépeignent souvent un scénario d’apocalypse où l’innovation, sans protections solides, s’arrête net. Toutefois, l’histoire montre que l’ingéniosité humaine s’épanouit quand la connaissance est librement partagée et mise à profit. La Renaissance, par exemple, fut une période de créativité et d’innovation débridée, bien avant que le concept de PI voie le jour.

Entraver, asphyxier, enraciner

En conclusion, alors que la prétendue intention derrière les lois sur la propriété intellectuelle serait d’encourager l’innovation, leur effet concret est souvent de l’entraver. Le droit d’innover – explorer, développer et partager de nouvelles idées librement – est fondamental au progrès humain et ne devrait pas être injustement restreint par des tentatives trop zélées de monétiser la connaissance. Alors que nous voguons dans le paysage complexe de l’innovation du XXIe siècle, il est crucial d’examiner d’un œil critique les lois PI pour les réformer et s’assurer qu’elles répondent à leur objectif initial qui est de favoriser le progrès au lieu de l’asphyxier. Le chemin à suivre exige un équilibre fragile entre protéger les droits des créateurs et encourager un environnement ouvert où l’innovation peut prospérer. Comme l’évoque Mises : “L’essence de la liberté d’un individu est la possibilité de penser et faire les choses hors des sentiers battus.” En réimaginant l’approche de la propriété intellectuelle, on peut créer un système qui soit vraiment au service des intérêts des innovateurs et de la société dans son ensemble, plutôt qu’enraciner le pouvoir des acteurs établis. Alors seulement exprimer le potentiel créatif humain et assurer que le droit d’innover reste une pierre angulaire du progrès collectif pourront être pleinement atteints.

Texte original sur le Mises Institute, ici.

Traduction de Stéphane Geyres et Camille Ramos.

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