Prendre la sécession au sérieux, 3 fois

Les Etats-Unis seront-ils bientôt les Etats-Désunis ?

Le mois dernier, le Center for Politics de l’Université de Virginie publia une nouvelle étude qui montre que, du moins chez les interrogés, « environ 4 électeurs de Biden sur 10 (41 %) et la moitié (52 %) des électeurs de Trump sont au moins en partie d’accord pour dire qu’il est temps de diviser le pays, dans le sens d’une sécession des États bleus – ou rouges – de l’Union. »

De plus, les majorités des deux groupes convenaient qu’il y a « beaucoup de gens radicaux et immoraux qui tentent de tout gâcher » et que « c’est le devoir de tout vrai citoyen d’aider à éliminer le mal qui empoisonne notre pays de l’intérieur. »

On pourrait en conclure que les gens qui pensent que les choses vont généralement bien dans le pays ne sont pas tant inquiètes « du mal à l’intérieur » au point de penser qu’il est temps de « diviser le pays. »

Le pays adopte une division nette

Il semble que le président Biden aura été incapable « d’unir » le pays, après tout, malgré ses promesses d’un « temps de guérir l’Amérique » et qu’il sera « un président qui ne cherche pas à diviser, mais à unifier ». Au contraire, il semble que le pays adopte une division nette sur tout une gamme de questions, l’obligation vaccinale et les droits parentaux dans l’éducation publique n’étant que les plus récents.

À ce stade, il n’y a aucune raison de croire que ces clivages vont simplement disparaître. La sécession a toutes chances de venir encore plus sur les lèvres, comme cela s’est vu ces dernières années, cela alors que l’ancien « liberal consensus » 1 du milieu du XXe siècle s’éloigne de plus en plus dans le passé.
L’expérience va plutôt toujours plus dans le sens d’une séparation, même si ces événements semblent lointains.

Dans le monde réel, après tout, les grands changements politiques peuvent survenir soudain et de façon inattendue. En 1987, la plupart des Soviétiques pensaient encore que l’URSS continuerait d’exister durant de nombreuses décennies, sinon des siècles. Pour cela, le moment est venu de commencer à poser les questions difficiles sur la sécession et sur comment les questions militaires et financières peuvent être abordées.

Compte tenu de tout cela, nous voyons trois raisons principales faisant qu’il est de moins en moins judicieux de nier à la sécession une possibilité sérieuse.

La sécession se généralise

La première raison pour laquelle il faut désormais prendre la sécession au sérieux est qu’elle n’est plus un sujet de discussion uniquement chez les plus radicaux.

En 2014, par exemple, un quart des gens déclarèrent à un sondage qu’ils pensaient que leur État (local) devait faire sécession. En 2018, 39 % déclarèrent qu’ils pensaient qu’un État (local) devait « avoir le dernier mot » quant à rester ou pas au sein des États-Unis. En 2020, plus d’un tiers des gens interrogés déclaraient que les États avaient le droit légal de faire sécession.

Les conservateurs courants suggèrent de plus en plus cette possibilité, de Rush Limbaugh à Dennis Prager. En effet, pas plus tard que la semaine dernière, Prager admit que la sécession offre une chance de vivre dans un pays qui reflète mieux ses propres valeurs. Si la sécession devait se produire, déclarait Prager, « je vivrais dans un État régi par des valeurs judéo-chrétiennes plutôt que par des valeurs de gauche. » Même les conservateurs âgés commencent à saisir l’idée : la séparation apporte le choix, et le choix est mieux que la notion calcifiée de « patriotisme ».

En effet, il semble que ce ne soit pas une coïncidence si les conservateurs plus âgés comme Prager ont été parmi ceux qui ont tardé à être séduits par l’idée de la sécession. Selon le sondage 2020 de Zogby sur la sécession, les attitudes en faveur de la sécession baissent quand le groupe interrogé vieillit. Dans le groupe des 18-29 ans, une majorité (52 %) pense que les États ont le droit légal de faire sécession. Dans le groupe des plus de 65 ans, ce chiffre n’est que de 23 %. En d’autres termes, le dogme de l’unité nationale est un dogme des générations plus âgées. Non seulement l’idée de sécession est de plus en courante, mais elle pourrait aussi être la vague de l’avenir.

Pendant ce temps, des membres du Congrès, dont Steven Holt (Iowa) et Marjorie Taylor Greene (Géorgie), parlent désormais ouvertement de la sécession en bien. Ils ne le feraient pas s’ils ne pensaient pas leurs électeurs d’accord avec eux.

De plus, on pourrait mesurer la croissance de la position sécessionniste par le nombre de figures qui ressentent désormais le besoin de la condamner. Il fut un temps où l’on considérait la sécession comme un sujet tellement « excentrique » qu’il ne méritait guère d’attention. C’est terminé. De nos jours, les figures conservatrices du Beltway ressentent le besoin de s’emporter à son sujet sur Fox News

Les syndicalistes de gauche veulent diriger votre vie

Une deuxième raison pour prendre la sécession au sérieux vient du fait que la gauche ne semble rien apprendre de la montée du séparatisme. Alors que beaucoup d’Américains semblent adopter une posture d’opposition à la domination du centre, la gauche redouble d’ardeur dans l’idée qu’une plus grande autonomie locale ne saurait être tolérée.

Le John Lewis Voting Rights Advancement Act, présenté au Sénat américain, en est un exemple flagrant. Ce texte, si est adopté, donnerait à Washington de nouveaux, vastes pouvoirs de réglementation et de contrôle sur comment les États organisent leurs propres élections. À l’origine, bien sûr, les dirigeants des États avaient un contrôle presque total sur la façon dont les élections étaient régies et menées dans chaque État. C’est logique dans un pays qui débuta comme un ensemble de républiques souveraines. Tout comme les États membres de l’UE organisent leurs élections d’une manière qui est contrôlée localement, il en allait de même pour les États-Unis. Au fil du temps, comme dans la plupart des domaines politiques, l’administration fédérale a exercé un contrôle accru. Mais avec cette « loi sur l’avancement du droit de vote », le contrôle local des élections serait pratiquement aboli, la plupart des changements étant soumis à un sceau fédéral.

Naturellement, l’opposition à l’abandon des élections d’État au contrôle fédéral est dénoncée comme motivée par le racisme, ou autres objectifs néfastes. Et cela reflète l’opposition de la gauche à la sécession et à la décentralisation en général. L’idée est la suivante : « on ne peut pas laisser ces gens gérer leurs propres affaires, car il est sûr qu’ils utiliseront les prérogatives locales pour faire le mal. »

Par exemple, en condamnant la sécession dans le magazine New York, le stratège démocrate Ed Kilgore dit clairement qu’il n’avait aucune intention de laisser les gens faire grand-chose sans « surveillance » fédérale. Il écrit:

Ainsi nous pourrions nous séparer plus ou moins pacifiquement, cette fois-ci ? C’est possible, mais ne comptez pas sur moi pour accepter un Divorce National….. [C]omment pourrais-je accepter avec joie la soumission accélérée des femmes et des gens de couleur dans une nouvelle Amérique rouge adjacente, pas plus que les abolitionnistes ne pourraient accepter la poursuite et l’expansion de l’esclavage qu’ils détestaient ? Serait-il vraiment sûr de vivre près d’un pays fou de carbone où la négation du changement climatique serait un article de foi ? Et pourrais-je jamais croire qu’un « voisin » dont les dirigeants et les citoyens croient que leurs politiques reflètent la volonté ancienne et immuable du Tout-Puissant laisserait nos clôtures intactes ?

Ed Kilgore, in New York Magazine.

Kilgore peut à peine contenir son mépris. Il pourrait aussi bien dire : « Si on laisse la liberté à ces troglodytes des États rouges, ils iront sûrement adopter quelque dystopie raciste et misogyne qui remplira l’air de fumées toxiques. Ce sont des fanatiques religieux, après tout ! »

Quiconque ne veut pas vivre sa vie en étant soumis aux caprices d’hommes comme Kilgore devrait prendre ses quelques instants de candeur pour un avertissement de mauvais augure. Ces gens n’accepteront jamais « avec joie » l’autonomie en dehors de la compétence de Washington, car elles l’assimilent littéralement à l’esclavage et à la haine des femmes.

En d’autres termes, plus la gauche condamne la sécession en détail (comme elle doit le faire désormais parce que les moqueries dédaigneuses ne fonctionnent plus), plus elle ne fait que fournir des raisons de plus faisant de la sécession probablement la seule véritable solution à la division nationale.

Il est temps de poser les questions difficiles

Enfin, la généralisation de la sécession signifie que le moment est venu de commencer à poser les vraies questions sur comment la séparation se déroulerait réellement.

Par exemple, la question des armes nucléaires ne peut être ignorée, bien que le cas de l’Ukraine post-soviétique montre que ce n’est pas un problème aussi insurmontable que beaucoup le soupçonnent. En outre, la question de la dette nationale doit être abordée. Il faudra probablement aussi admettre que, dans tous les scénarios réalistes, dénoncer la dette au moins partiellement est l’issue probable, avec ou sans sécession.

Et enfin, il y a le problème des enclaves « ethniques ». Historiquement, ce problème accompagne toujours la sécession, comme dans le cas des ethnies Russes dans les pays baltes sécessionnistes, ou des populations pro-espagnoles laissées sur place dans toute l’Amérique latine au XIXe siècle. En outre, dans quelle mesure cette séparation serait-elle « totale » ? Il est tout à fait concevable qu’un État américain composé de deux ou plusieurs parties autonomes puisse néanmoins rester sous l’autorité d’un seul chef d’État, ou au sein d’une unique alliance militaire.

Dans la vraie vie, les grands changements politiques ont l’habitude de se produire indépendamment de ce que veulent les planificateurs officiels et de ce que disent les plans officiels. Ainsi, les événements finissent par bouleverser ce que les élites pensent être la bonne façon de faire les choses. Mais en alimentant une véritable discussion à présent, on pourrait au moins éviter quelques mauvaises surprises à plus long terme. Par ailleurs, vivre dans le déni de la sécession n’améliorera pas les choses. Et, bien sûr, la question de la sécession ne se pose pas avec un « si », mais avec un « quand ».

Toutes les régimes prennent fin à un moment, soit par désintégration, soit par révolution. Dans bien des cas, le monde s’améliore lorsque de vieux États comme l’Empire romain s’effondrent. La vision fantaisiste d’une Amérique qui durera toujours est une chose qui ne devrait sembler plausible qu’aux jeunes enfants ou aux désespérément naïfs.

Ryan McMaken

  1. NdT : Cette ambition social-démocrate d’après-guerre de combiner libre marché et politiques sociales.

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