Pourquoi le billet de un dollar dans nos poches a-t-il de la valeur ? Selon certains commentateurs, la monnaie a de la valeur parce que le gouvernement au pouvoir dit ainsi. Pour d’autres commentateurs, la valeur de la monnaie est due à une convention sociale. Ce que cela implique, c’est que la monnaie a de la valeur parce qu’elle est acceptée. Et pourquoi est-elle acceptée ? Parce qu’elle est acceptée ! D’évidence, ce n’est pas une bonne explication de la raison à la valeur de la monnaie.1
La différence entre la monnaie et les autres biens
La demande d’un bien vient qu’on y perçoit un avantage. Par exemple, les gens demandent de la nourriture pour l’alimentation qu’elle leur offre une fois consommée. Il n’en va pas de même pour la monnaie. Selon Murray N. Rothbard :
La monnaie, en soi, ne peut être consommée et ne peut être utilisée directement comme bien de production dans le processus de production. La monnaie en soi est donc improductive ; c’est un stock mort qui ne produit rien.
Murray N. Rothbard, Man, Economy, and State (Los Angeles: Nash Publishing, 1970), p. 670.
Pourquoi, alors, y a-t-il une demande pour la monnaie ? Pourquoi les individus désirent-ils disposer d’une chose qui ne peut être consommée et qui ne produit rien ? Pour donner une réponse à cela, il faut remonter dans le temps et déterminer comment la monnaie apparut.
En essayant d’améliorer leurs vies et leur bien-être, les individus découvrirent qu’en remplaçant l’échange direct, où les individus échangent un bien contre un autre bien, par l’échange indirect, ils pouvaient améliorer le potentiel de commercialisation de leurs produits. L’introduction de l’échange indirect signifie que le produit d’un individu est échangé contre un bien plus commercialisable, puis que cet autre bien est ensuite échangé contre les produits d’autres individus.
Le facteur clé de l’émergence d’un bien comme médiateur de l’échange indirect est qu’il doit être largement accepté. À ce sujet, Ludwig von Mises observa que, avec le temps :
il y aurait une tendance inévitable à voir les marchandises les moins commercialisables, du type des marchandises utilisées comme moyen d’échange, être rejetées l’une après l’autre jusqu’à qu’il ne reste finalement qu’une seule marchandise qui soit universellement employée comme média d’échange : en un mot, la monnaie.
Ludwig von Mises, The Theory of Money and Credit, trans. J.E. Batson (Irvington-on-Hudson, NY: Foundation of Economic Education, 1971), pp. 32–33.
De même, Murray Rothbard écrivit que :
Tout comme dans la nature, où il y a une grande variété de compétences et de ressources, il y a une variété dans les potentiels de marché des biens. Certains biens sont plus demandés que d’autres, certains sont plus facilement divisibles en petites unités sans perte de valeur, certains sont plus pérennes sur de longues périodes, d’autres plus transportables sur de grandes distances. Tous ces avantages contribuent à un meilleur potentiel de marché. Il est clair que dans toute société, les biens les plus commercialisables seront peu à peu sélectionnés comme médias d’échange. Chaque fois que choisis encore comme médias, leur demande croît en raison de cet usage, et ainsi ils deviennent encore plus commercialisables. Il en résulte une spirale les renforçant : un plus grand potentiel de marché entraîne un plus large usage comme média, qui entraîne un plus grand potentiel de marché, etc. Finalement, un ou deux produits sont utilisés comme médias généraux dans presque tous les échanges et sont appelés monnaies.
Murray N. Rothbard, What Has Government Done to Our Money? (Auburn, AL: Ludwig von Mises Institute, 2010), pp. 7–8.
Grâce à ce processus de sélection continu, les gens se fixèrent sur l’or comme média d’échange général. Grâce à la monnaie, les individus peuvent rendre les biens qu’ils ont produits plus commercialisables. Ainsi, un boucher peut désormais commercer avec un cordonnier végétarien. Le boucher peut échanger sa viande contre de la monnaie, puis échanger cette monnaie contre des chaussures.
Ce qui rend les biens plus commercialisables est la large acceptation de la monnaie par les individus. Cette acceptation se fait parce que la monnaie a un pouvoir d’achat, c.-à-d. un prix.2 Les gens demandent de la monnaie parce qu’elle a un pouvoir d’achat. Comment une chose qui sert de média d’échange acquiert-elle son pouvoir d’achat, son prix en termes d’autres biens ?
On sait que la loi de l’offre et de la demande explique le prix d’un bien. De même, il semblerait que cette même loi puisse expliquer le prix de la monnaie.
Cependant, cette façon de penser pose un problème, puisque la demande de monnaie découle du fait que la monnaie a un pouvoir d’achat, c.-à-d. que la monnaie a un prix. Or, si la demande de monnaie dépend de son pouvoir d’achat, donc de son prix, comment ce prix peut-il être expliqué par la demande ?
On est apparemment pris ici dans un piège circulaire, car le pouvoir d’achat de la monnaie s’explique par la demande de monnaie, alors que la demande de monnaie s’explique par son pouvoir d’achat.
Cette circularité semble donner de la crédibilité à l’opinion voulant que l’acceptation de la monnaie soit le résultat d’un décret étatique et d’une convention sociale.
Mises explique l’origine de pouvoir d’achat de la monnaie
Or le processus de sélection explique comment la marchandise la plus commercialisable fut choisie comme média d’échange général. Ce processus ne nous dit cependant pas comment le pouvoir d’achat de la monnaie apparut.
Dans ses écrits, Mises montra comment la monnaie obtint son pouvoir d’achat.3 Il commença son analyse en notant que la demande de monnaie d’aujourd’hui est déterminée par le pouvoir d’achat de la monnaie d’hier. (Rappelons que les individus acceptent la monnaie parce qu’elle a un pouvoir d’achat, un prix).
Par suite, pour une offre de monnaie donnée, le pouvoir d’achat d’aujourd’hui est établi. La demande d’argent d’hier était à son tour ajustée par le pouvoir d’achat de la monnaie de la veille. Par suite, le prix d’une offre de monnaie donnée était fixé par le prix de la monnaie d’hier. La même procédure s’applique aux périodes passées. En régressant dans le temps, on finit par arriver à un moment où la monnaie n’était qu’une marchandise ordinaire dont le prix était fixé par l’offre et la demande.
Cette marchandise avait une valeur d’échange par rapport à d’autres marchandises, c.-à-d. que sa valeur d’échange était établie par le troc. Le jour où une marchandise devient de la monnaie, elle a déjà un pouvoir d’achat établi en termes d’autres marchandises. Ce prix permet de former une demande pour cette marchandise en tant que monnaie.
Ceci, à son tour, fixe le pouvoir d’achat d’une offre donnée de cette marchandise le jour où celle-ci commence à fonctionner comme monnaie. Une fois que le prix de la monnaie est établi, il devient un point de départ du prix de la monnaie du lendemain.
Il s’ensuit donc que sans les informations d’hier sur le prix de la monnaie, le pouvoir d’achat de la monnaie d’aujourd’hui ne peut être établi. L’histoire n’est pas nécessaire pour établir les prix d’autres biens. Une demande pour ces biens se crée du fait des avantages perçus à les consommer. Mais l’avantage que procure la monnaie est qu’elle peut être échangée contre des biens et des services. Par conséquent, il faut connaître le pouvoir d’achat passé de la monnaie afin d’établir la demande actuelle de monnaie.
En utilisant le mode de pensée de Mises, également connu sous le nom de théorème de régression, on peut déduire qu’il n’est pas possible que la monnaie ait pu émerger à la suite d’un décret étatique, d’une approbation étatique ni d’une convention sociale.4 Le théorème montre que la monnaie doit émerger comme une marchandise. Sur ce point Rothbard écrivait :
Au contraire des biens de consommation ou de production à usage direct, la monnaie doit avoir des prix préexistants sur lesquels fonder une demande. Mais la seule façon que cela arrive est en commençant avec une marchandise utile faisant l’objet de troc, puis d’ajouter la demande pour un média à la demande précédente d’usage direct (par ex. pour ornement, dans le cas de l’or). Ainsi, le pouvoir est impuissant à créer de la monnaie pour l’économie ; seul le processus du marché libre peut la développer.
Murray Rothbard, What Has Government Done to Our Money?, p. 9.
Noter que le fait qu’une chose acquiert un pouvoir d’achat en termes d’autres biens et services ne la qualifie pas aussitôt comme monnaie. Ce qu’il faut, c’est que la chose devienne l’entité la plus commercialisable. Le fait que la pomme de terre ait une valeur d’échange face à divers biens ne fait pas de la pomme de terre le média d’échange général. Pour que cela se produise, les pommes de terre doivent devenir largement acceptées comme moyen d’échange, c.-à-d. que l’on puisse utiliser des pommes de terre dans la plupart des transactions.
Le papier-monnaie et l’or
Comment tout ce que dit jusqu’à présent se rapporte-t-il au dollar de papier ? À l’origine, le papier-monnaie n’était pas considéré comme de la monnaie, mais comme simple une représentation de l’or. Divers certificats de dépôt portaient des créances sur l’or stocké dans les banques. Les détenteurs de certificats de papier pouvaient les convertir en or à tout moment jugé nécessaire. Puisque les gens trouvèrent plus pratique d’utiliser des certificats de papier pour échanger des biens et des services, ces certificats vinrent à être pris pour de la monnaie.
Parce que ces certificats étaient considérés comme représentant de l’or, ils acquirent un pouvoir d’achat. Les certificats de papier acceptés comme média d’échange ouvrirent la porte aux pratiques frauduleuses. Les banques pouvaient désormais être tentées de muscler leurs bénéfices en prêtant des certificats qui n’étaient pas réellement garantis par de l’or.5
Dans une économie de marché libre, une banque qui émet trop de certificats de papier verra vite que la valeur d’échange de ses certificats en termes de biens et de services commence à baisser. Pour protéger leur pouvoir d’achat, les détenteurs des certificats émis en trop pourront très probablement tenter de les reconvertir en or. Si tous devaient réclamer de l’or en même temps, la banque serait en faillite. Dans un marché libre, la menace de faillite empêcherait donc les banques d’émettre des certificats papier non garantis par de l’or.
Le pouvoir peut, cependant, contourner la discipline du marché libre. Il peut publier un décret qui rende légal le fait que les banques sur-engagées ne rachètent pas les certificats papier en or.
Une fois que les banques ne sont plus obligées de racheter les certificats de papier en or, des occasions de profit important apparaissent, ce qui les incite à poursuivre une expansion illimitée de l’offre de certificats de papier. L’expansion incontrôlée des certificats de papier augmente la probabilité de déclencher une hausse galopante des prix des biens et des services qui peut conduire à l’effondrement de l’économie de marché.
Pour éviter un tel effondrement, il faut gérer l’offre de papier-monnaie. Une raison importante pour gérer l’offre, en plus de la prévention de la hausse galopante des prix, est d’empêcher les différentes banques concurrentes de se mettre mutuellement en faillite. On peut y parvenir en établissant une banque monopolistique (c.-à-d. une banque centrale) qui gère l’expansion du papier-monnaie. Pour affirmer son autorité, la banque centrale introduit son propre certificat de papier, qui remplace les certificats des différentes banques. Le certificat de papier de la banque centrale est échangé contre les certificats des autres banques à un taux fixe.
Le pouvoir d’achat des certificats de papier de la banque centrale est établi sur celui des certificats des différentes banques. Ces certificats ont un pouvoir d’achat du fait de leur lien avec l’or. Dès lors, les certificats de papier de la banque centrale, qui sont entièrement garantis par les certificats des autres banques, sont également liés à l’or. Il s’ensuit donc que les certificats de papier de la banque centrale ont aussi acquis leur pouvoir d’achat grâce à leur lien avec l’or.
Maintenant, suivant le théorème de régression, une fois que le certificat de papier de la banque centrale a acquis son pouvoir d’achat, celui-ci sert de donnée à la demande de ce certificat. Le pouvoir d’achat actuel d’une certaine offre actuelle de certificats de la banque centrale peut donc être établi. Ainsi, la valeur du certificat de papier de la banque centrale, c.-à-d. de la monnaie de papier appelée dollar, est établie du fait de son lien historique avec l’or.
Conclusion
Contrairement à la pensée populaire, la valeur d’un dollar de papier trouve son origine dans son lien avec l’or, et non dans un décret étatique ou une convention sociale. Selon le théorème de régression de Ludwig von Mises, la monnaie doit avoir été échangée comme marchandise. En outre, le fait qu’une entité ait établi un pouvoir d’achat par rapport à divers biens et services ne la qualifie pas aussitôt comme monnaie, c.-à-d. de média d’échange général. Pour que l’entité devienne de la monnaie, elle doit être largement acceptée.
Frank Shostak
- Hal Varian, « Why Is That Dollar Bill in Your Pocket Worth Anything?, » New York Times, Jan. 15, 2004.
- NdT : Le prix d’un bien est précisément la marque d’une offre échangée contre de la monnaie, donc le pouvoir d’achat de la monnaie se manifeste dans l’étendue des prix.
- Ludwig von Mises. Human Action: A Treatise on Economics, scholar’s ed. (Auburn, AL: Ludwig von Mises Institute, 1998), chap. 17.
- NdT : Mises a les convention sociales explicites à l’esprit, cependant, on pourrait voir le pouvoir d’achat de la monnaie comme une convention sociale implicite.
- NdT : À ce sujet, il est fort intéressant de lire le livre de Pascal Salin : Les systèmes monétaires : « Des besoins individuels aux réalités internationales », très pédagogique sur ce point.
La citation de Rothbar est bizarre, le mot « media » se traduit par moyen. La monnaie est un moyen d’échange est plus compréhensible. Merci
Merci pour cette remarque. Nous avons harmonisé les termes employés par Rothbard et par Mises, le sens donné par medium et media étant celui d’un intermédiaire bien plus qu’un simple moyen. Dans l’explication donnée, il nous a semblé important d’appuyer cette nuance qui va au-delà du simple « moyen » de paiement.