Comment gagner ?

On ne défend pas un monde qui est déjà perdu. Quand fut-il perdu ?

On ne défend pas un monde qui est déjà perdu. Quand fut-il perdu ? On ne peut le dire précisément. C’est une question à réfléchir par l’historien révolutionnaire. On sait seulement qu’il a été cédé, pacifiquement, sans lutte, presque à l’improviste. Il n’y eut ni jour, ni heure, ni de célébration de l’événement – et pourtant, le pouvoir suprême de l’initiative est bel et bien passé des mains de l’entreprise privée à celles de l’État. Il est là et il restera là, jusqu’à être reconquis, si jamais. Il est certain que l’État ne l’abandonnera jamais sans combattre. 1

Garet Garrett

Nous entrons en 2022 avec l’espoir et l’optimisme que seule permet l’évaluation la plus lucide de la réalité. Ces mots remarquables de Garet Garett, publiés en 1938, sont à leur parfaite place en cette nouvelle année. Ils sont aussi libérateurs. Il n’y a pas de retour en arrière, pas de restauration, pas de « réforme » : l’Amérique qu’on pensait connaître a disparu. Des dizaines de millions d’Américains pensent aujourd’hui que l’État fédéral américain et les principales institutions de ce pays (des médias aux grandes entreprises, en passant par les universités, Hollywood, Big Pharma et le corps médical) travaillent activement contre leurs intérêts [NdT : celui des Américains]. Ils n’ont aucun intérêt personnel à défendre un monde déjà perdu.

On peut être mélancolique envers cela, ou on peut être heureux et confiant quant aux opportunités qui se présentent. Ces mêmes millions qui ne croient plus que le système fonctionne sont impatients d’en construire un nouveau. L’Amérique n’est guère un pays, à ce stade, au-delà d’un pur arrangement économique. Hors de l’abondance matérielle (ce qui certes n’est pas rien), qu’est-ce qui nous relie vraiment ? L’Amérique n’est certainement pas une nation soudée de quelque façon claire ; et pourquoi le serait-elle, étant donné sa vaste géographie et son énorme diversité (réelle) ? Cette réalité, et non la nostalgie d’un constitutionnalisme flou et perdu depuis longtemps, devrait nous éclairer, selon l’avertissement de Garett.

Une voie d’avenir convaincante et viable commence par l’identification et la coalition des nombreuses petites nations de facto qui existent déjà au sein des États-Unis.

Le régime infligé par la crise du Covid, d’abord, a permis au fédéralisme de se réaffirmer de façons que peu d’entre nous auraient pu imaginer il y a deux ans. Même l’infortuné Joe Biden a récemment admis qu’il n’y a aucune solution fédérale à un virus, que le Covid doit être « résolu » par les États [locaux]. Les gouverneurs s’écharpent désormais ouvertement entre eux sur les médias sociaux et encouragent la concurrence entre les entreprises et les familles cherchant à se relocaliser. La société de déménagement United Van Lines fournit volontiers son enquête annuelle : ceux qui le peuvent, compte tenu de leur situation économique et familiale, votent avec leurs pieds. Le régionalisme bénéficie d’une énergie nouvelle que l’on n’avait pas vue depuis plusieurs décennies.

Parmi ces « nations », en gros deux voies d’avenir se présentent. Une Amérique a l’intention de faire de 2022 une autre année « Covid », avec des fermetures d’entreprises et d’écoles, des masques obligatoires et des passeports vaccinaux. Une autre Amérique veut revenir à la normale autant que possible, et traiter le virus comme une partie permanente mais gérable du paysage (comme les virus existants de la grippe). Cette séparation constitue un seuil d’embrasement du seul fait que les deux voies sont incompatibles, mais aussi parce qu’elles offrent des occasions instantanées d’appliquer des politiques différentes (souvent de facto, comme quand les entreprises simplement passent outre les règles à appliquer pour le Covid) dans différents États et localités. Ces occasions fournissent à leur tour un modèle pour la façon dont des questions difficiles, tels l’avortement et le contrôle des armes à feu, pourraient être traitées plus localement, plutôt que par neuf super-législateurs en robe noire.

Ces deux trajectoires de gestion du Covid sont presque métapolitiques à ce stade, mais elles démontrent le choix inéluctable : organiser la société autour de l’État ou l’organiser autour des individus, des familles, des marchés et des institutions de la société civile. Nous pouvons vivre dans un monde politique ou dans un monde économique. Mélanger les deux ne fonctionne pas.

La politique ne disparaîtra pas, bien sûr. Mais elle restera un indicateur à la traîne. La Gauche 2 est désespérément consumée de haine et d’ingratitude, engluée dans l’identité, et animée du désir de blesser et de vaincre les « Déplorables » (électeurs de Trump, antivaxs, négationnistes du Covid, etc.) comme acte de vengeance. La Droite 3 est perdue dans un dysfonctionnement Trumpiste, s’éloignant de plus en plus de tout message cohérent sur l’économie ou les opportunités, tout en permettant aux néoconservateurs de se regrouper et de promouvoir le bellicisme envers la Russie, la Chine et l’Iran. Les libéraux, eux aussi, ont perdu le fil : en plein ping-pong quant au type de circonstances qui justifieraient des fermetures et des obligations, se réjouissant du rejet (voire la censure) des voix alternatives et dissidentes de la part des plateformes technologiques, et ils acceptent le discours progressiste du « changement climatique » et similaires, tout en omettant de se concentrer sur les menaces de l’empire et de la banque centrale.

Les deux « camps » sont dirigés par des personnes peu sérieuses qui sont congénitalement inaptes à organiser une sandwicherie, sans parler de diriger plus de 330 millions de personnes.

Mais si la politique ne peut être éliminée, elle peut être rendue plus tolérable par une poussée agressive vers la subsidiarité. Les Américains le pressentaient déjà, mais le Covid l’a accéléré. Renoncer à l’universalisme politique est une pilule amère pour la classe politique, mais qui doit être avalée. C’est la pilule que Mises avait prescrite il y a un siècle dans ses appels radicalement décentralistes en faveur d’un « nationalisme libéral »4 et du droit à l’autodétermination comme sceau d’une société décente. Cela signifie-t-il que l’Amérique doit se diviser en nouvelles entités politiques, comme le fit l’empire austro-hongrois ? Pas nécessairement, mais cela signifie accepter un degré bien plus élevé de fédéralisme et de localisme et une administration nationale considérablement réduite. La voie à suivre est dans le séparé.

« We Will Win » (Nous gagnerons) est un hashtag omniprésent sur Twitter ces derniers temps, un code pour le sentiment de changement que tant d’Américains ressentent mais ne peuvent encore bien exprimer. Nous gagnerons parce que le socialisme est incompatible avec la nature humaine et une économie matérielle productive. Nous gagnerons parce que la monétisation folle de la dette du Trésor par la Fed et son fétichisme maniaque pour les taux d’intérêt bas sont insoutenables.

Nous gagnerons parce que l’Oncle Sam sera à court d’argent (de valeur). Nous gagnerons parce que les droits sociaux sont finalement impossible à payer, du moins en termes réels. Nous gagnerons parce que la guerre, l’empire et la construction de nations se sont épuisés et que les Américains de tous bords politiques nous veulent quitter le Moyen-Orient. Nous gagnerons parce que le Woke 5 échouera à cause de ses propres contradictions internes et de ses luttes intestines. Et nous gagnerons parce que l’ère numérique décentralise inexorablement pratiquement tous les aspects de la vie humaine, et que les États ne pourront pas y échapper éternellement.

Donc, nous gagnerons. Mais combien de temps cela prendra-t-il, et à quel prix la victoire ?

Personne ne peut le savoir. Mais de grandes choses sont en train de se produire, et il convient de garder la bonne humeur parmi nous en 2022 !

Jeff Deist

  1. « The Revolution Was », un superbe essai publié en 1938, était l’explication approfondie de Garet Garett sur les changements révolutionnaires dans la gouvernance et la vie américaines qui ont résulté de la période du New Deal. Il s’agissait, selon Garrett, d’une « révolution dans la forme » – une révolution qui conservait les apparences du constitutionnalisme et du fédéralisme, mais qui, en fait, inaugurait l’État managérial total.
  2. Nous entendons ici la gauche « politique », et non les « bons » gauchistes tels que Glenn Greenwald.
  3. Avec des exceptions notables, bien sûr, comme nos amis du magazine Chronicles.
  4. Voir Nation, State, and Economy (1919) pour la remarquable discussion de Mises sur l’éclatement des nations et des frontières après la fin de la Grande Guerre. Voir aussi Libéralism (1927) pour l’exposition par Mises d’un nationalisme libéral bienveillant, quelque chose de très différent du « nationalisme » tel qu’il est conçu aujourd’hui (chauvin, agressif, expansionniste, autarcique).
  5. Il est vrai que le terme « woke » est sur le point de devenir un des « mots sans signification » de George Orwell – des mots sauvagement galvaudés pour représenter quelque chose d’extrêmement vague mais mauvais. Ici, le terme est utilisé de manière très large pour représenter des croyances progressistes stridentes concernant la race, le sexe, la sexualité, l’égalité, le changement climatique, etc.

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