L’économie traite de l’action humaine et des choix dans le contexte de possible pénurie. Le problème qui se posent aux économistes est de comprendre et d’expliquer l’amélioration des conditions de l’homme, qui est une autre façon d’évoquer la production. La question critique, posée comme il convient par l’économiste Per Bylund, part de la rareté comme situation ordinaire pour comprendre le comportement humain intentionnel.
« Quelle est la cause de la pauvreté ? Rien. Elle est la situation initiale, le point départ et par défaut. La vraie question est plutôt : quelle est la cause de la prospérité ? »
Per Bylund
L’anti-économie, en revanche, part de l’abondance et travaille à rebours. Elle se focalise sur la redistribution et non sur la production. Au cœur de toute anti-économie se trouve une vision positiviste du monde, l’hypothèse que les individus et les économies peuvent être commandés par un législatif factice. Les marchés, qui se manifestent sans organisation centralisée, cèdent la place à la planification de la même manière que le droit commun cède la place à un droit statutaire. Cet angle de vue est particulièrement répandu chez les intellectuels de gauche, qui voient en l’économie non pas une science, mais plutôt un exercice pseudo-intellectuel destiné à justifier le capital et les intérêts des riches entreprises.
L’anti-économie n’est pas nouvelle ; même l’alchimie pourrait être considérée comme une version médiévale de la quête sans fin pour obtenir quelque chose contre rien. Elle conserve un attrait durable chez les politiciens et le monde universitaire modernes, où le communisme, le chartisme, le keynésianisme et le monétarisme représentent tous des variations du XXe siècle sur le thème central du diktat envers l’activité économique.
Mais la version la plus visible de l’anti-économie prend aujourd’hui la forme de la théorie monétaire moderne (« MMT »). La MMT fut lourdement l’objet d’une présentation flatteuse du professeur Stephanie Kelton dans le New York Times, intitulé « Is This What Winning Looks Like » (Est-ce à cela que gagner ressemble ?). Dans ce contexte, « gagner » fait référence à l’attrait populaire croissant de la MMT, dont Kelton est le visage public depuis son livre « The Deficit Myth » publié en 2020.
La MMT de Kelton est un programme politique et fiscal, et non une théorie macroéconomique. Elle soutient que les déficits sont sans importance parce que la monnaie émise par un État souverain n’est jamais limitée (contrairement aux ressources, comme l’admet Kelton). Ainsi, les États ne « pairaient » pas les choses comme le font les particuliers ou les entreprises et, de plus, la dette publique est en fait un avantage privé pour certains. Le problème n’est pas de payer les programmes étatiques, mais plutôt de les identifier – travaux publics ambitieux, garanties d’emploi, revenu de base universel, nourriture et logement, programmes du « Green New Deal », « santé pour tous », etc. et, le plus important, de créer la volonté publique de les soutenir politiquement.
Selon les mots de Kelton, la MMT :
« nous apprend à demander non pas ‘Comment va-t-on le payer ?’ mais ‘Comment va-t-on le financer ?’ Cela montre que si on a le savoir-faire technologique et les ressources disponibles, pour envoyer un homme sur la lune ou se lancer dans un ‘Green New Deal’ pour lutter contre le changement climatique, alors le financement pour mener à bien ces missions peut toujours être rendu disponible. Trouver l’argent est la partie facile ».
Stephanie Kelton
Le mythe du déficit, en somme, est ce qu’un commentateur appela « un plaidoyer pour utiliser la mobilisation permanente de temps de guerre à des fins civiles. » Une stimulation sans fin, et non une production meilleure et moins chère, est l’objectif de la politique fiscale (ou monétaire).
C’est l’anti-économie dans sa plus pleine expression. Les ressources existent (venant d’où ?) ; elles obéissent à l’État ou du moins sont à sa disposition, voire même elles lui appartiennent (taxes ? saisie ? confiscation ?) ; elles sont ensuite mises au service d’un mandat politique indéfini (ce que « on » veut). Le financement ne se pense qu’après coup, car l’autorité fiscale crée de la monnaie selon les besoins. Mais pour rester juste envers Kelton, l’État fédéral américain aura dépensé en 2020 environ 6,5 milliards de dollars, soit le double de sa récolte en impôts (3,4 milliards de dollars). Dans un sens très étroit, la MMT « fonctionne » à court terme, au profit des groupes politiquement favorisés.1
C’est ce que l’on voit. Mais l’analyse économique digne de ce nom, comme l’expliquaient Henry Hazlitt et Frédéric Bastiat, exige d’examiner les effets à long terme d’une politique sur tout le monde. C’est ce que l’on ne voit pas. Pour les pro-MMT, les immenses coûts d’opportunité des dépenses publiques, même quand l’économie est loin du « plein emploi », deviennent invisibles.
Pervers, les plumes des médias réagirent aux critiques de l’article de Kelton dans le Times en parlant de sexisme. Il n’est guère surprenant qu’elle soit louée comme une rare exception dans le domaine de l’économie universitaire, dominé par les hommes. Les attaques contre son travail, nous dit-on, viennent d’hommes blancs jaloux et plus âgés (tel l’ancien secrétaire au Trésor Larry Summers) qui n’apprécient pas la « nouvelle » économie qu’elle propose et qui envient l’attention qu’elle attire sur elle-même comme sur la MMT, mais en outre sur le mouvement plus large pour une justice économique égalitaire. Kelton, après tout, servit de conseiller économique au candidat socialiste démocratique à la présidence Bernie Sanders et soutenait Elizabeth Warren. Les vieux néolibéraux comme Summers, en revanche, soutiennent encore l’idée dépassée de contraintes budgétaires.
Mais au-delà des allégations absurdes de sexisme (Kelton sait certainement à quel point Twitter et d’autres plateformes sont impitoyables pour tout le monde) il y a la suggestion plus alarmante que la pratique de l’analyse économique serait trop masculine et aurait besoin d’une version féminine. La théorie économique serait trop conflictuelle, trop soucieuse d’avoir raison, et aurait besoin d’une approche plus collaborative (lire « féminine »).
Les implications de cette idée pour toutes les sciences sociales, et pas seulement pour l’économie, laissent pantois : bouleverser la recherche du savoir pour y insuffler une logique différente entre hommes et femmes, ce que Mises appelait le « polylogisme ». Cela ne nécessiterait-il pas une épistémologie entièrement nouvelle chez toutes les disciplines scientifiques ?2
Aucune de ces diversions ne permettra d’échapper à la réalité. L’économie commence et se termine à la rareté, un trait inéluctable de la réalité humaine. Toute conception libérée des contraintes matérielles et humaines exige un monde post-économique, donc soit une utopie terrestre, soit une abondance paradisiaque. Dans notre monde, aussi riche soit-il comparé au passé, la rareté est le point de départ de l’analyse économique. Dans notre monde, les acteurs humains individuels font des choix « rationnels » dans le seul contexte de contraintes naturelles : temps, capital, intelligence, capacité, santé et lieu. Et chaque choix a un coût d’opportunité.
L’économie professionnelle est en grande difficulté, et seule une nouvelle génération dynamiques de praxéologues formés à l’autrichienne peut réparer les dégâts causés par les anti-économistes normatifs et politiques.
Jeff Deist
- L’administration américaine est un de ces groupes favorisés, étant donné le statut du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale issue de l’accord de Bretton Woods, une armée puissante, des terres et des ressources naturelles abondantes, et d’autres avantages économiques. La MMT est-elle donc un système viable uniquement pour les pays riches et puissants ?
- NdT : Mais les sciences sociales se préoccupent-elle vraiment d’épistémologie ?