La théorie de l’entrepreneur

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La théorie de l'entrepreneur...
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Chapitre 5

La théorie de l’entrepreneur

Ce nouveau chapitre du petit manuel d’économie s’intéresse à cette figure mythique de l’économie : l’entrepreneur !

Pour ce nouveau chapitre de notre petit manuel d’économie, passons maintenant à une figure centrale de l’actualité économique, mise en valeur, mise en avant, je veux parler de la figure de l’entrepreneur ! Aujourd’hui, on met en avant les Steve Jobs et Steve Wozniak, fondateurs d’Apple, Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook. On pourrait remonter à William Hewlett et David Packard, fondateurs dans les années 40 de Hewlett-Packard, du côté de Palo Alto, là où allait se développer la célèbre Silicon Valley, et son savoir faire pour lancer de nouvelles entreprises. L’entrepreneur apparaît comme le moteur de l’économie.

Pourtant, dans la plupart des théories économiques, il n’occupe pas une place centrale, en tout cas pas une place de moteur de l’économie. Il est une action extérieure. Ainsi, la théorie de l’entrepreneur la plus couramment acceptée est celle de Schumpeter, et sa célèbre destruction créatrice.

Schumpeter

Schumpeter part d’une économie stable, circulaire (dans le sens où les cycles se répètent). A chaque cycle, les entreprises investissent le même montant, produisent les mêmes produits, et vendent la même quantité. Schumpeter s’inscrit dans l’état d’équilibre général. L’économie est à l’équilibre, il y a le plein emploi.

L’entrepreneur apparaît alors comme un perturbateur. L’entrepreneur schumpétérien apporte une innovation. Une innovation, dans le sens schumpétérien, peut être un nouveau produit, un nouveau processus de production, un nouveau marché, ou plusieurs de ces éléments. Ainsi, entrer dans un nouveau marché à l’exportation est une innovation. Lancer un nouveau produit, qui apporte quelque chose qui n’existait pas. Ou fabriquer différemment.

Pour investir, l’entrepreneur a recourt au crédit, car c’est le seul moyen d’avoir une ressource en dehors du cycle normal de production. Le nouveau produit remplace un ancien. Un nouveau processus de fabrication rend une entreprise plus compétitive. Un nouveau marché également. Il se produit une destruction créatrice. Des entreprises disparaissent, car elles n’ont pas suivi le mouvement, d’autres apparaissent.

Les innovations introduites par les entrepreneurs élèvent en quelque sorte le niveau de l’économie. Dans la terminologie de la théorie néo-classique, on dit que l’optimum que peut atteindre le système économique est passé à un niveau supérieur. Le niveau de vie est augmenté.

L’entrepreneur est donc le moteur de l’évolution économique, le moteur du progrès. Mais il est extérieur au processus économique. C’est un choc externe. C’est la caractéristique de la théorie économique moderne. Ainsi, pour Robert Lucas, les cycles économiques s’expliquent également par des chocs externes.

L’entrepreneur et l’échange

Reprenons maintenant notre fil conducteur, qui est l’échange. Nous avons vu que les premiers à étudier l’économie ont en fait étudié le développement des échanges commerciaux. Car l’économie, c’est l’échange. Nous avons vu pourquoi il y avait échange. Nous échangeons parce que ce que nous recevons vaut plus que ce que nous donnons. Ce qu’on appelle aujourd’hui un jeu à somme positive, car chacun reçoit plus qu’il ne donne. Enfin, nous avons vu la théorie marginale de la valeur, et le prix. Nous avons chacun notre échelle de valeur, subjective. La valeur est subjective. Le prix naît de l’échange.

L’économie est ainsi un vaste système d’échange. On peut remarquer que, pour échanger, certains engagent de gros moyens. Par exemple, pour mettre sur le marché un smartphone, il faut d’abord investir en recherche, acheter les composants, sous-traiter des fabrications, sans même savoir si le produit va se vendre. Il y a des frais qui sont engagés, sans connaître les gains qui seront apportés par le produit. Il y a une incertitude. Il y a un risque.

Nous avons là une définition de l’entrepreneur. L’entrepreneur agit aujourd’hui pour des résultats incertains dans le futur. Ludwig von Mises considère même que le terme de promoteur aurait été plus approprié. Jesus Huerta de Soto écrit ainsi :

(…) on pourrait affirmer qu’exerce la fonction d’entrepreneur toute personne agissant en vue de modifier le présent et d’atteindre ses objectifs dans le futur (…)

L’école autrichienne

La notion de risque, d’incertitude, est le fondement de l’entrepreneuriat. Notion de risque qui est inhérent à la notion de temps. L’entrepreneur investit de l’argent pour des gains futurs, nécessairement incertains. Ensuite, on peut souligner d’autres caractéristiques. Ainsi, Mises écrit :

Ainsi chaque fonction est nettement intégrée : l’entrepreneur gagne des profits ou supporte des pertes ; les possesseurs de moyens de production (capitaux ou terre) gagnent l’intérêt originaire ; les travailleurs gagnent des salaires. Dans ce sens, nous élaborons la construction imaginaire d’une distribution fonctionnelle en tant que différente de la distribution historique de fait. 

L’action humaine

Israel Kirzner développera les écrits de Mises en inventant le concept d’alertness, le fait d’être en alerte. L’entrepreneur repère les occasions.

L’entrepreneur, un rôle très large

La notion d’entrepreneur est ainsi plus large, et réaliste, que celle de Schumpeter. Examinons-en les implications. Il y a bien sûr celui qui investit dans un nouveau produit. Il le met sur le marché, à ses risques et périls. Les entrepreneurs peuvent donc introduire de nouveaux produits, investir dans de nouveaux systèmes de production, ou investir pour vendre sur un nouveau marché. Les fonctions de l’entrepreneur de Schumpeter sont comprises dans l’entrepreneur au sens de l’école autrichienne d’économie. Sauf qu’il n’y a pas forcément destruction. Ce qu’apporte l’entrepreneur sur le marché ne remplace pas nécessairement quelque chose qui y était déjà proposé. Rien, dans le raisonnement, ne l’implique. Même si rien ne l’empêche, et il y a des produits ou des modes de production qui supplantent d’anciennes pratiques.

L’entrepreneur a également un rôle dans la fixation des prix. En effet, comment les prix peuvent-ils s’égaliser au sein d’un territoire ? Nous avons vu les les transactions étaient d’abord décidées entre deux échangeurs. Puis, si les transactions se multiplient, les gens communiquent antre eux, et un prix communément admis peut apparaître. Mais cela n’est possible que dans un milieu où les gens se connaissent. Il peut y avoir une grande disparité de prix entre deux provinces. Dans ce cas, l’entrepreneur va acheter dans une province, pour revendre plus cher dans une autre. Ce qui va finir par égaliser les prix dans les deux provinces.

Nous voyons là comment se forme concrètement les prix. Aujourd’hui, sur un marché unifié, une entreprise va lancer son produit au même prix partout, car elle sait que sinon certains achèteront des produits pour les revendre plus chers. On remarque cependant que les détaillants s’adaptent à leur clientèle et peuvent pratiquer des prix plus élevés dans les quartiers aisés.

Tout le monde peut avoir un jour une attitude d’entrepreneur. Ainsi, quelqu’un qui investit dans une formation, dans le but d’obtenir un emploi mieux rémunéré, agit en tant qu’entrepreneur. Sachant que la notion d’entrepreneur est un concept. On peut agir en tant qu’entrepreneur un jour, et être habituellement un salarié (nous reviendrons plus tard sur la notion de concept en économie, ou d’idéal-type pour reprendre la terminologie de von Mises). La notion clef, c’est le temps. Mettre en oeuvre des moyens aujourd’hui pour un gain incertain plus tard implique la prise de risque.

L’histoire de l’entrepreneur

Finissons ce chapitre par un peu d’histoire. L’entrepreneur n’est pas intégré à la théorie économique aujourd’hui, sauf pour l’école autrichienne d’économie. Pourtant, il apparaît très tôt dans cette théorie économique. C’est Richard Cantillon, dans le premier traité d’économie connu, Essai sur la nature du commerce en général, paru en 1755, qui donne un rôle à l’entrepreneur :

« Tous les habitants d’un État peuvent se diviser en deux classes, savoir en entrepreneurs, et en gens à gages ; les entrepreneurs sont comme à gages incertains, et tous les autres à gages certains pour le temps qu’ils en jouissent, bien que leurs fonctions et leur rang soient très disproportionnés. Le général qui a une paie, le courtisan qui a une pension, et le domestique qui a des gages, tombent sous cette dernière espèce. Tous les autres sont entrepreneurs, soit qu’ils s’établissent avec un fond pour conduire leur entreprise, soit qu’ils soient entrepreneurs de leur propre travail sans aucun fonds, et ils peuvent être considérés comme vivant à l’incertain ; les gueux même et les voleurs sont des entrepreneurs de cette classe. »

Cité par Benoît Malbranque de l’Institut Coppet

Richard Cantillon était un irlandais naturalisé français, considéré comme faisant parti de l’école française d’économie. Cette école a mis l’entrepreneur à l’honneur. Ainsi, Jean-Baptiste Say considérait l’entrepreneur comme une sorte d’organisateur, qui mettait en œuvre les moyens de productions.

Par contre, l’école britannique n’intégrait pas l’entrepreneur. Ainsi, Adam Smith, et à sa suite David Ricardo, ne considérait que l’apporteur de capital. Sans la notion de prise de risque, sans la notion d’organisateur. Ensuite, Walras, a vidé l’entrepreneur de sa substance. Il part de l’entrepreneur individuel, mais pour un simple calcul de maximisation. Et ne parlons pas de la macroéconomie. Elle ne considère que les agrégats : demande globale, offre globale, dépense publique. Uniquement des notions quantitatives. L’entrepreneur y est inexistant. L’être humain y est inexistant.

L’entrepreneur est ainsi au centre de la dynamique de l’économie. Il n’y a pas forcément de destruction créatrice. Il n’y a pas forcément innovation : l’entrepreneur peut simplement reprendre une idée qui semble marcher. La notion centrale est le risque. L’entrepreneur met en œuvre des moyens. Il subit un coût. Pour mettre sur le marché un bien, un service, une compétence, pour échanger quelque chose, dont le produit est incertain.

(Voir aussi l’histoire du mot entrepreneur ici)

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