Quatrième chapitre du petit manuel d’économie. Comme je l’indiquais par ailleurs, les chapitres sont amenés à évoluer. Il est probable que les deux premiers seront fondus en un seul chapitre. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude de l’échange. En abordant la notion de valeur, et de formation du prix.
Nous avons vu que l’économie, c’est l’échange. Il y a échange, car comme l’écrit Ludwig von Mises dans L’action humaine :
« chacun des échangistes évalue ce qu’il reçoit plus haut que ce qu’il abandonne »
Si j’échange une épée contre des pierres, c’est que j’ai plus besoin des pierres que de l’épée. Puis l’échange indirect se développe. J’échange l’épée contre de la monnaie pour acheter quelque chose dont j’ai plus besoin que de l’épée, ou pour me constituer une réserve de précaution.
Valeur subjective
Allons au bout de la logique. Nous constatons donc que, dans un troc, l’évaluation des produits est différente pour les échangeurs. La valeur donnée aux produits n’est pas la même. Si j’échange une épée contre des pierres, c’est parce que, pour moi, les pierres ont plus de valeur que l’épée. Inversement pour mon co-échangeur. Pour lui, l’épée a plus de valeur que les pierres qu’il donne en échange.
Cela signifie que la valeur est subjective. Nous accordons chacun une valeur à ce que nous possédons, ce que nous produisons. Nous l’échangeons contre quelque chose qui a plus de valeur.
Evidemment, pour échanger, il faut convenir d’un prix. On marchande, et on définit un prix. Le prix, c’est les conditions de l’échange. les termes de l’échange. Tant de pierre contre une épée. Tant de monnaie contre une épée.
Il y a donc une différence entre valeur et prix. La valeur est subjective. Elle n’est pas intrinsèque à un objet, un service. Le prix, c’est le rapport d’échange.
Petite histoire de la valeur.
Curieusement, les premiers auteurs à être reconnus comme économistes, Adam Smith et David Ricardo, ont recherché une valeur intrinsèque aux produits. Ainsi, Adam Smith considère qu’il existe un prix naturel.
Le « prix naturel » d’une marchandise correspond à ce qu’il faut payer pour produire, préparer et conduire cette denrée au marché et est fonction du taux naturel employé.
Corentin de Salle, La tradition de la liberté, tome 2.
Cela sans nier qu’il existe un prix de marché :
Le « prix du marché » d’une marchandise est le prix auquel une marchandise se vend communément.Il peut être inférieur, égal ou supérieur au prix naturel. Ce prix n’est autre que le rapport entre la quantité de cette marchandise existant actuellement sur le marché et les demandes de ceux qui sont disposés à en payer le prix naturel.
Corentin de Salle, La tradition de la liberté, tome 2.
Les économistes classiques recherchent donc une valeur naturelle, que l’on qualifie également d’intrinsèque, car elle est partie du produit lui-même. C’est la valeur de ce qui est nécessaire pour produire le produit. Essentiellement la valeur travail. Ce qui fait la valeur, c’est le travail qui est incorporé à un produit.
Ce prix inclut les profits même si,dans le langage courant, on différencie ce dernier du prix primitif de la marchandise. On inclut le profit car, sans ce dernier, le vendeur n’aurait aucun intérêt à la vendre et emploierait autrement son capital. Son profit constitue son revenu, le fonds dont il tire sa subsistance. Cela ne correspond pas au prix le plus bas auquel un vendeur peut occasionnellement céder sa marchandise mais c’est bien le plus bas qu’il peut exiger s’il exerce son métier sur une période relativement étendue, à moins évidemment de jouir d’une parfaite liberté et d’être en mesure de changer de métier comme il lui plaît.
Corentin de Salle, La tradition de la liberté, tome 2.
Il y a donc une recherche d’une valeur intrinsèque, qui correspondrait à la quantité de travail qui serait incluse dans un produit. En distinguant un prix de marché.
Une théorie curieuse
Cette théorie est curieuse, car elle est en contradiction avec les précédentes réflexions sur les prix. Les scolastiques espagnols,notamment, avait une théorie subjective de la valeur. Par exemple, Luis Molina expliquait, au 14 ème siècle :
La valeur-utilité d’un bien particulier n’est pas fixée entre les gens ou par le passage du temps. Elle dépend de l’évaluation individuelle et de la disponibilité. Cette théorie explique aussi certains aspects singuliers des biens de luxe. Par exemple, pourquoi une perle, « qui peut seulement être utilisé pour décorer », serait plus onéreuse que les grains, le vin, la viande, ou les chevaux ? Il apparaît que toutes ces choses sont plus utiles qu’une perle et qu’elles sont certainement plus « nobles ». Comme Molina l’a expliqué, l’évaluation est faite par les individus, et « nous pouvons conclure que le prix juste pour une perle repose sur le fait que certains hommes voulaient lui accorder de la valeur en tant qu’objet de décoration »
Llewellyn H. Rockwell, Jr., fondateur et président du Mises Institute à Auburn, Alabama, et éditeur de LewRockwell.com.
La valeur travail a été reprise, d’une manière radicalisée, par Marx. Dans ses écrits, la valeur vient uniquement du travail, et les travailleurs étaient exploités car ils ne bénéficiaient pas de toute la valeur.
La théorie marginale de la valeur.
La recherche d’une valeur intrinsèque posait aussi un problème : pourquoi l’eau, bien plus utile que le diamant, s’échange-t-elle à un prix inférieur à celui du diamant. La réponse, une fois encore, vient en examinant le processus d’échange.
Nous avons constaté que la valeur était subjective. Chacun accorde une valeur différente à un produit. Les produits peuvent avoir différents usages, plus ou moins importants. L’eau, par exemple, se boit, et elle est indispensable à la vie. On s’en sert pour irriguer les cultures, pour se laver, pour laver sa maison, laver la vaisselle, remplir la piscine, remplir le pistolet à eau du petit dernier.
Evidemment, chacun de ces usages n’a pas la même importance. Chaque individu classe les usages en fonction de leur utilité pour lui même. Nous pouvons concevoir que boire pour vivre arrive en tête. Ensuite, si quelqu’un a un champ, l’irrigation sera plus importante pour lui que pour celui qui n’en a pas. De même, si quelqu’un a une piscine.
Continuons le raisonnement. Si la quantité d’eau disponible est à peine nécessaire pour boire, c’est l’utilité première qui est à peine satisfaite. Une utilité qui a une grande valeur. Donc, pour celui qui manque d’eau pour boire, l’eau aura une grande valeur, et il sera près à en donner un prix élevé.
Inversement, si l’eau est tellement abondante que le pistolet à eau peut être rempli, quelle sera la valeur de l’eau ? Le fait de remplir un pistolet à eau n’a pas une grande utilité. Donc pas une grande valeur. Donc le prix offert pour l’eau ne sera pas élevé.
Chacun classe les différentes utilités d’un produit, ou d’un service. Si le produit est tellement abondant que la dernière utilité peut être satisfaite, la valeur, et le prix offert, seront faibles. C’est ce qu’on appelle la valeur marginale. La valeur accordé à un produit dépend de la dernière utilité satisfaite. A contrario, le diamant est tellement rare que la simple utilisation comme bijou se négocie à un prix élevé.
Soulignons au passage, toujours, la subjectivité de la valeur. Certains ne jurent que par Apple et ses I-phone. D’autres, utilisateurs d’Androïd, se marrent en soulignant que leur smartphone est moins cher, et parfois en avance (ce que n’admettront pas les fans d’Apple). La valeur est subjective, et le prix qui s’impose pour un produit ou un service n’est pas un prix objectif accepté par tous.
Marginalisme et école autrichienne
L’école autrichienne est née avec la théorie marginale de la valeur. En effet, Carl Menger, fondateur de ce courant, est considéré comme un des trois co-découvreurs de la valeur marginale, en 1871, avec William Stanley Jevons, la même année, et Léon Walras en 1874 (l’information circulait moins vite en ce temps, surtout quand les écrits étaient dans des langues différentes).
Cependant, il y a une grande différence entre Menger et ses collègues. Menger développe une théorie de la valeur subjective. Les deux autres auteurs considèrent que le prix de marché est un prix objectif, donc correspond à la valeur du produit. Pour Menger, la valeur est subjective, chacun n’accordant pas la même valeur à un produit, ou un service. Le prix reflète les termes de l’échange, pas la valeur. Pour Jevons et Walras, il n’y a pas de distinction entre prix et valeur.
De l’échange naît le prix
Nous avons d’abord constaté que, l’économie, c’est l’échange. En analysant l’échange, nous constatons que la valeur est subjective. C’est même la condition de l’échange. On échange un produit car on obtient quelque chose qui vaut plus à nos yeux. Et le prix est négocié lors de l’échange. Il représente les termes de l’échange. Tout découle de l’échange. Maintenant, comment le prix d’un produit peut-il s’unifier ? C’est ce que nous verrons avec le concept d’entrepreneur.