Au milieu d’une longue guerre contre l’État

Premier extrait d'un exposé sur la nature, le concept d'État moderne.

Le terme « l’État » est un terme qui est souvent avancé ici et là, avec des significations diverses. Même si l’on exclut la terminologie américaine, qui prête à confusion, et selon laquelle les États-Unis sont composés d’États, il reste encore beaucoup d’autres significations. Par exemple, dans la littérature sur les relations internationales, la plupart des pays indépendants sont simplement appelés des « États ».

Bien sûr, historiquement, de nombreux gouvernements et entités politiques de tous types furent appelés des États. De plus, le public ici présent sera certainement familier du terme dans le contexte de l’opposition à l’État.

Dans les cercles libertariens, on entend souvent, mais peut-être pas assez souvent, parler de la nécessité de combattre l’État, de détruire l’État, d’abolir l’État, etc. Il n’est certainement pas nécessaire de passer énormément de temps à lire Murray Rothbard pour que cette position soit familière.

Mais souvent, lorsque la position de « détruire l’État » est évoquée, surtout parmi ceux qui sont familiers de l’État en tant qu’institution ou parmi ceux qui le sont moins, une étude plus approfondie révèle souvent un dangereux manque de précision sur ce qu’est exactement l’État.

Dans de nombreux cas, l’État est compris à tort comme toutes les formes de gouvernement civil ou toute institution qui utilise la coercition, tels les tribunaux ou d’autres institutions juridiques. L’État peut inclure tout ce qui va du plus haut niveau de l’appareil de sécurité nationale, jusqu’au ramasseur de chiens local, dans certaines façons de penser. Ou historiquement, il peut signifier tout ce qui va des seigneurs féodaux locaux jusqu’au plus grand despote impérial.

Cette notion vague et globale de l’État expose cependant la position anti-étatique à une objection assez convaincante de la part d’autres personnes. Si l’État est constitué de tous les types de gouvernement, alors l’État est aussi vieux que l’humanité et apparemment endémique de la condition humaine.

Utopie ?

Selon cette définition, aucun groupe d’êtres humains n’a jamais existé sans État, car même les anciens des tribus les plus primitives contraignirent leurs membres d’une manière ou d’une autre. Ils forcèrent les coupables à payer un châtiment, par exemple, ou dans certains cas extrêmes, ils imposèrent l’exil ou l’esclavage à d’autres membres de la communauté. Aucune association humaine ne laisse tout simplement les gens faire ce qu’ils veulent quand ils le veulent, tout en restant des membres en règle du groupe ; et donc la coercition est utilisée dans de nombreuses organisations ; et cela a toujours été le cas.

Si cela est vrai, alors éliminer l’État défini comme toute organisation utilisant la coercition frapperait beaucoup, si ce n’est la plupart des gens raisonnables, comme utopique à l’extrême. Si l’État a toujours existé et se trouve dans chaque société humaine, alors son élimination est aussi probable ou sage que l’élimination de la famille.

Cette objection peut être résolue en étant plus précis et clair sur ce qu’on entend par « l’État ». En comprenant mieux ce qu’est l’État, on peut peut-être aussi mieux voir pourquoi il s’agit d’une institution particulièrement nuisible et dangereuse. Et une fois que nous aurons compris cela, nous pourrons mieux voir comment combattre et démanteler l’État plus efficacement.

Ainsi, je veux montrer que l’État, que j’appellerai parfois l’État souverain ou l’État moderne, est un type de gouvernement très spécifique et qu’il n’est pas du tout éternel ou nécessaire pour organiser les affaires humaines. Son abolition n’est en aucun cas utopique. Ensuite, je veux discuter du rôle du libéral dans ce contexte, c’est-à-dire du libéral classique ou du libertarien, qui plaide pour une réduction radicale et idéalement pour l’élimination complète de l’État.

Juste en passant, pour le reste de cet exposé, je suis d’accord avec l’historien Ralph Raco, l’un de nos anciens amis ici, pour dire que les termes libéral, libéral classique et libertarien sont tous correctement utilisés de manière interchangeable et que, s’ils sont bien compris, ils font tous partie de la même école idéologique. Il utilisait ces termes indifféremment, et je ferai de même.

Ce que l’État n’est pas

On peut noter brièvement ce que l’État n’est pas. Rothbard couvre bien cela dans son essai « l’Anatomie de l’État », et donc il n’y a pas vraiment besoin de s’étendre sur le sujet ici, mais l’essentiel est le suivant. Rothbard utilise la définition standard, « barbare » [celle de Max Weber] de l’État pour la plupart des cas, c’est-à-dire que l’État est « une organisation ayant le monopole des moyens de coercition sur un territoire spécifique ». Beaucoup de chercheurs utilisent cette définition.

Il n’y a pas nécessairement à être d’accord avec cette définition dans tous ses aspects pour en bénéficier en tant que cadre de travail. Comme le souligne Rothbard, le fait qu’il s’agisse d’une organisation spécifique signifie qu’il ne s’agit pas de nous : Si « Nous, donc l’État » [ou « l’État, c’est nous »], ce n’est pas la société dans son ensemble.

Les anciens libéraux classiques firent certainement cette distinction et inventèrent la notion, l’utilisation du mot « société » pour signifier quelque chose de distinct de l’État. La société, c’est toutes ces choses qui ne sont pas l’État : les familles, les églises, le marché, et même peut-être les gouvernements locaux où le pouvoir est plus localisé et spécifique, plutôt que centralisé et global. Et la société, c’est certainement toute institution volontaire construite sur des relations volontaires.

Mais cela peut être déroutant pour les lecteurs de certains auteurs plus anciens. Tel Saint Augustin par exemple, qui utilise le terme d’État pour signifier quelque chose de plus proche de la société en général, ou plus précisément, il utilise un terme latin et d’autres variantes de « rem publicum », un de ceux-là, qui sont généralement traduit par « l’État ». [Ce qui est plus une marque de faiblesse de traduction.] Évidemment, Saint Augustin n’écrivait pas en anglais, mais ce qu’il entend par là est mieux compris par le mot « entité », c.-à-d. « une communauté d’êtres humains », et toutes ses institutions, y compris les institutions gouvernementales.

Ainsi, quand on lit Augustin ou Saint Tomas d’Aquin, et certains de ces auteurs plus anciens quand ils mentionnent l’État, il ne faut absolument pas supposer, surtout avant l’État moderne, que c’est ce qu’ils veulent dire. Ils veulent généralement dire quelque chose d’autre, et il faut peut-être chercher à savoir quelle langue est traduite dans ce cas-là.

Ainsi, pour notre usage ici, un État n’est pas la même chose qu’une entité, une communauté, ni même qu’un gouvernement civil.

Quatre aspects essentiels

Nous avons donc identifié ce que l’État n’est pas, mais pas encore ce qu’il est. Il y a quatre points principaux pour définir ce qu’est un État, dont je voudrais parler ici.

Le premier est que l’État existe dans l’esprit des gens. Martin van Creveld, auteur de « The Rise and Decline of the State », qui s’exprima ici une fois, a déclaré que l’État est une entité abstraite qui ne peut être ni vue ni touchée. Son observation nous amène à Joseph Strayer, auteur de « L’origine médiévale de l’état moderne », qui répète que l’État existe dans l’esprit des gens ; et que l’étape cruciale a lieu lorsque les gens commencent à croire qu’ils ont besoin d’un État.

Dès lors, ni van Crevel, ni la plupart des autres historiens de l’État ne nieraient que les outils de l’État sont évidemment réels et tangibles. On peut toucher et voir les prisons de l’État, ses armées, ses chambres d’exécution, ses bombes nucléaires, ses bureaucrates et plus encore.

Mais d’autres entités non-étatiques ont contrôlé et utilisé ces équipements dans l’histoire, à l’exception des armes nucléaires, que seuls des états ont eu en leur contrôle. Ce n’est pas parce que vous avez une prison que vous êtes un État. Mais le fait que tout cela se tient ensemble pour la poursuite de certains objectifs est la preuve d’une idée unificatrice dans l’esprit des gens qui utilisent ces outils et de ceux qui acceptent leur utilisation dans le but de maintenir un État.

Le deuxième point est qu’un État est une institution impersonnelle, bureaucratique, et permanente, ce n’est pas une institution ad hoc utilisée parfois pour résoudre un problème. Les princes pré-étatiques d’Europe étaient censés fournir un service réel. Ils menaient des soldats au combat ou voyageait à travers le pays pour tenir des tribunaux et réglaient des différends.

Charles Tilley, l’historien de l’État, brosse un tableau important de la situation. Il note que le roi médiéval, avant l’ère des États, était personnellement présent dans de nombreux endroits où l’État était présent. Ainsi, à l’époque, où que l’État fût, l’État en un sens réduit et origine non-étatique, on pouvait le trouver sur le champ de bataille ou dans les tribunaux. Mais le monarque, après la montée des États, disons au XVIe siècle, s’est assis derrière un bureau et a dirigé un énorme appareil permanent et impersonnel conçu pour imposer ses édits sur un vaste territoire. Il était un gratte-papier ; c’était différent.

État Souverain

En trois, et cela nous amène à la prochaine étape cruciale, et plus dangereuse (les points 3 et 4 sont ce qui distingue vraiment l’État), c’est quand les gens commencent à croire que l’État est souverain. Strayer dit que, oui les gens doivent croire en l’État pour le faire exister, pour qu’il existe vraiment. Mais pour qu’il existe réellement, et ce qui est critique dans la création de l’État, c’est que les gens croient qu’il est souverain : c’est-à-dire que l’État ait le dernier mot sur tout ce qui se trouve à l’intérieur de ses frontières et qu’il n’y a aucun pair à l’intérieur de cet État qui puisse défier l’État lui-même.

In fine, ce que l’on a dans un État, c’est qu’il se tient au-dessus du reste de la société. Comme nous le verrons, la souveraineté est une question clé, ici, c’est une des deux différences qui font ce que l’état est vraiment.

Enfin, la quatrième et dernière étape clé dans la compréhension de l’État, avec la souveraineté, est ce qui rend vraiment l’État différent, moderne et distinct des autres types de gouvernement civil, c’est le fait que la moralité ne s’applique pas à l’État comme elle s’applique à vous et moi.

État Immoral

Van Crevel a un éclairage central ici. À Hobbes revient le mérite d’avoir inventé cet État, qui n’est lié par aucune loi du souverain, sauf celles que le souverain lui-même établit, et que bien sûr le souverain peut changer à tout moment. Les souverains de Hobbes sont plus puissant que n’importe quel souverain occidental depuis l’antiquité tardive.

C’est-à-dire, entre la fin de l’empire romain et la montée de l’État, la société européenne n’adhérait pas en théorie à l’idée que l’État pouvait faire ce qu’il voulait sans tenir compte des notions de moralité ordinaire. Des notions comme l’absence de règles dans la guerre, ou l’idée de base aimée par les politiciens, que si vous voulez faire une omelette, vous devez casser des œufs, aurait été jugée inacceptable avant l’âge de l’État.

Certes, il y a eu des abus. Certes, de nombreux princes ont agi à certains moments comme s’ils étaient États, mais il n’était pas généralement accepté sur un plan théorique comme aujourd’hui que c’était un bien positif que les États et les agents de l’État soient libérés des inconvénients de la moralité pour le bien de l’Étatisme. L’art de gouverner est venu plus tard avec des théoriciens comme Machiavel.

Cela nous donne quelques indices de base pour identifier un État quand nous en voyons un, mais ce sont ces deux dernières caractéristiques sur lesquelles je veux me concentrer désormais, parce qu’elles sont les plus dangereuses : la souveraineté de l’État et le détachement de l’État de la moralité ordinaire.

(À suivre)

Ryan McMaken

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