La production privée de la sécurité : Introduction

Beaucoup doutent que les services régaliens (sécurité) puissent être confiés au libre marché et à l’entreprise. Hoppe entreprend de montrer qu’au contraire, c’est l’état qui ne peut fournir ce service dont il prend le monopole.

Nous publions la traduction de son ouvrage « La production privée de la sécurité » chapitre par chapitre.

Dans ce premier chapitre, l’auteur pose le problème en partant du mythe hobbesien…


LE MYTHE HOBBESIEN

La croyance en la sécurité collective est une des croyances les plus populaires de notre époque. Ce n’est rien de moins significatif que la légitimité même de l’État moderne qui repose sur cette conviction.

Je démontrerai que l’idée de sécurité collective est un mythe qui ne fournit aucune justification à l’État moderne, et que toute sécurité est et doit être privée. Cependant, avant de conclure, permettez-moi de commencer par énoncer le problème. En premier, je présenterai une reconstruction en deux étapes du mythe de la sécurité collective, et soulèverai à chaque étape quelques soucis théoriques.

Le mythe de la sécurité collective peut aussi être appelé le mythe hobbesien. Thomas Hobbes, et d’innombrables philosophes politiques et économistes à sa suite, soutenaient que, dans l’état de nature, les hommes en viendraient constamment aux mains. Homo homini lupus est. En jargon moderne, dans l’état de nature, une sous-production permanente de la sécurité prévaudrait. Chaque individu, laissé à ses propres moyens et dispositions, dépenserait trop peu pour sa propre défense et, par conséquent, il en résulterait une guerre interpersonnelle permanente.

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« Tout ce qui résulte d’un temps de guerre, où tout homme est l’ennemi de tout homme, résulte aussi d’un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle que leur propre force et leur propre capacité d’invention leur donneront. » – Hobbes

Selon Hobbes et ses partisans, la solution à cette situation supposée intolérable est l’institution d’un État. Afin d’instaurer une coopération pacifique entre eux, deux personnes, A et B, ont besoin d’une troisième partie indépendante, S, en tant que juge ultime et artisan de la paix. Cependant, ce tiers, S, n’est pas juste un autre individu, et le service fourni par S, celui de la sécurité, n’est pas juste un service « privé » quelconque. Plutôt, S est un souverain et dispose de deux pouvoirs spécifiques. D’un côté, S peut insister pour que ses sujets, A et B, ne cherchent à être protégés que par lui ; c’est-à-dire que S est un monopole territorial imposé de la protection. D’autre part, S peut déterminer unilatéralement combien A et B doivent dépenser pour leur propre sécurité, c’est-à-dire que S a le pouvoir d’imposer des taxes pour assurer la sécurité « collectivement ».

UNE SOLUTION À QUELLE SÉCURITÉ ?

Pour commenter son argument, la querelle est vaine sur la question d’un homme aussi mauvais et proche du loup comme le suppose Hobbes, sauf pour noter que la thèse de Hobbes ne peut évidemment pas signifier que l’homme est uniquement mené par des instincts agressifs. Si c’était le cas, l’humanité aurait disparu depuis longtemps. Le fait est qu’il n’a pas démontré que l’homme dispose aussi de la raison et est capable de contraindre ses pulsions naturelles. La querelle ne concerne que la solution hobbesienne. Compte tenu de la nature de l’homme comme animal rationnel, la solution proposée au problème de l’insécurité est-elle une amélioration ? L’institution d’un État peut-elle réduire les comportements agressifs et favoriser une coopération pacifique, et assurer ainsi une meilleure sécurité et protection privées ?

Les défauts de l’argument de Hobbes sont évidents. Tout d’abord, indépendamment de la perversité des hommes, S – qu’il soit roi, dictateur ou président élu – est toujours l’un d’entre eux. La nature de l’homme ne se transforme pas en devenant S. Pourtant, comment peut-il y avoir une meilleure protection pour A et B si S doit les taxer pour leur fournir ? N’y a-t-il pas là une contradiction dans la conception même de S en tant que protecteur expropriant de la propriété ? En fait, n’est-ce pas exactement ce qu’on appelle aussi, et de manière plus appropriée, un racket de protection ? Clairement, S fera la paix entre A et B, mais seulement pour lui-même à son tour venir les voler de manière plus rentable. S est sûrement mieux protégé, mais plus il est protégé, moins les A et B sont protégés des attaques venant de S.

La sécurité collective, semble-t-il, ne vaut pas mieux que la sécurité privée. Il s’agit plutôt de la sécurité privée de l’État, obtenue grâce à l’expropriation, c’est-à-dire au désarmement économique de ses sujets. De plus, les étatistes, allant de Thomas Hobbes à James Buchanan, ont fait valoir qu’un État protecteur serait le résultat d’une sorte de contrat « constitutionnel ». [1] Pourtant, qui de sain d’esprit accepterait un contrat permettant à son protecteur de déterminer unilatéralement – et irrévocablement – la somme que le protégé doit payer pour sa protection ? Et le fait est que personne n’a jamais rien signé de tel ! [2]

ANALYSE DU MYTHE DE L’ÉTAT SÉCURITÉ

Permettez-moi d’interrompre ma discussion à ce stade pour revenir à la reconstruction du mythe hobbesien. Une fois qu’on a supposé qu’afin d’instaurer une coopération pacifique entre A et B, il est nécessaire d’avoir un état S, une double conclusion s’ensuit. Si plusieurs états existent, S1, S2, S3, alors comme il ne peut y avoir de paix entre A et B sans S, il ne peut y avoir de paix entre les états S1, S2 et S3 tant qu’ils restent dans un état de nature (c’est-à-dire un état d’anarchie) les uns par rapport aux autres. Par conséquent, pour parvenir à la paix universelle, la centralisation politique, l’unification et finalement la création d’un gouvernement mondial unique sont nécessaires.

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L’ombre d’un état de dimension mondiale ?

Pour critiquer cet argument, il est tout d’abord utile d’indiquer ce qui peut être considéré comme non contesté. De prime abord, l’argument est correct, sur la forme et principe. Si l’hypothèse est correcte, la conséquence expliquée en découle. Les hypothèses empiriques impliquées par le cas de figure hobbesien semblent à première vue être corroborées par les faits. Il est vrai que les États sont constamment en guerre entre eux, et une tendance historique à la centralisation politique et à un régime mondial semble bien se produire. Les querelles naissent qui ne s’expliquent que par ce fait et selon cette tendance, et par la classification d’un unique État mondial unifié comme amélioration de la sécurité et de la protection privées.

Tout d’abord, il semble y avoir une anomalie empirique dont l’argument hobbesien ne peut rendre compte. La raison de la guerre entre les différents états S1, S2 et S3, selon Hobbes, est qu’ils sont en état d’anarchie les uns face aux autres. Cependant, avant l’arrivée d’un État mondial unique, non seulement S1, S2 et S3 sont en état d’anarchie mutuelle, mais en fait tous les sujets d’un État sont en état d’anarchie vis-à-vis de chaque sujet de tout autre état. En conséquence, il devrait exister autant de guerres et d’agressions entre les citoyens des différents États qu’entre les différents États.

LES CITOYENS SONT PLUS PACIFIQUES

Empiriquement, cependant, ce n’est pas le cas. Les transactions privées entre étrangers semblent être beaucoup moins guerrières que les relations entre les différents gouvernements. Cela ne semble pas non plus surprenant. Après tout, un agent de l’État, contrairement à chacun de ses sujets, peut compter sur la fiscalité intérieure dans la conduite de ses affaires étrangères. Compte tenu de son agressivité humaine naturelle, quelque prononcée soit-elle, n’est-il pas évident que S se montrera plus osé et agressif envers les étrangers s’il peut externaliser le coût d’un tel comportement ?

Je suis certainement prêt à prendre plus de risques et à oser plus de provocations et d’agressions si je peux faire payer les autres. Et il y a sûrement une tendance d’un État – d’un racket de protection – à vouloir étendre son monopole de protection territoriale au détriment d’autres États, aboutissant ainsi, comme résultat ultime de la concurrence entre États, à un gouvernement mondial. [3] Mais en quoi cela serait-il une amélioration de la sécurité et de la protection privées ? Le contraire semble être le cas. L’État mondial est le gagnant de toutes les guerres et du dernier racket de protection. Cela ne le rend-il pas particulièrement dangereux ? Et le pouvoir physique d’un unique gouvernement mondial ne sera-t-il pas écrasant comparé à celui d’un quelconque de ses sujets individuels ?

À suivre…

Hans-Hermann Hoppe

[1] James M. Buchanan and Gordon Tullock, “The Calculus of Consent” (Ann Arbor: University of Michigan Press, 1962) ; James M. Buchanan, “The Limits of Liberty” (Chicago: University of Chicago Press, 1975) ; pour une critique, voir Murray N. Rothbard, “Buchanan and Tullock’s Calculus of Consent,” in idem, “The Logic of Action”, vol. 2, “Applications and Criticism from the Austrian School” (Cheltenham, U.K.: Edward Elgar, 1995) ; idem, “The Myth of Neutral Taxation”, in ibid. ; Hans-Hermann Hoppe, “The Economics and Ethics of Private Property” (Boston: Kluwer, 1993), chap. 1.

[2] Voir sur ce point particulier : Lysander Spooner, “No Treason: The Constitution of No Authority” (Larkspur, Colo.: Pine Tree Press, 1996).

[3] Voir : Hans-Hermann Hoppe, “The Trouble With Classical Liberalism”, Rothbard-Rockwell Report 9, no. 4 (1998).

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