La politique monétaire a-t-elle un avenir ?

Peut-il simplement y avoir une politique monétaire ?

La politique monétaire1 focalise presque constamment l’attention des hommes politiques, des médias, de l’opinion publique, et l’on a pris l’habitude, à notre époque, de la considérer comme un instrument essentiel de la politique économique, plus précisément de ce qu’on a coutume d’appeler la politique de stabilisation. Tous les étudiants ont appris – sauf, bien sûr, les miens et ceux de certains de mes collègues – que l’État devait jouer trois rôles essentiels : prendre en charge l’allocation des ressources, garantir une bonne répartition des ressources et assurer la stabilisation économique. Nous ne discuterons pas ici les deux premiers rôles – si ce n’est pour exprimer notre pessimisme à l’égard de la capacité de l’État à bien les exercer – et nous nous focalisons sur le troisième, la politique de stabilisation économique.

I – La politique de stabilisation économique

Il paraît évident à la plupart des gens que seul l’État peut assurer la stabilité économique, car on considère a priori que les individus sont incapables d’atteindre un objectif de nature collective comme celui-là. En l’absence de politique de stabilisation, pense-t-on, les décisions individuelles conduiraient au désordre macro-économique. Mais c’est ignorer les leçons de l’Histoire et les leçons de la théorie économique (tout au moins de celle qui mérite véritablement d’être considérée comme scientifique parce qu’elle correspond véritablement à ce qu’est la vie en société).

Que nous apprend l’Histoire, tout d’abord ? Pendant la plus grande partie de l’Histoire de l’humanité, l’instabilité économique a eu des causes réelles et non des causes monétaires. Dans des économies essentiellement agricoles, les fluctuations de l’activité économique étaient essentiellement dues à de grandes épidémies ou à des causes météorologiques qui provoquaient des successions de bonnes et de mauvaises récoltes. Mais elles étaient dues aussi à des actions étatiques, en particulier les guerres. Les êtres humains, parce qu’ils sont capables d’utiliser les ressources de leur raison, ont su trouver les moyens de surmonter les obstacles que la nature leur oppose et de réduire ainsi l’instabilité économique, par exemple en diversifiant leurs activités ou en développant des techniques d’assurance. Mais d’autres causes d’instabilité sont apparues et celles-ci sont d’origine étatique, ce qui devrait conduire à considérer comme dérisoire – et même mensongère – la prétention des États à pratiquer des politiques de stabilisation économique.

En effet, pour que l’activité économique dans le monde ou dans un pays fluctue de manière importante, il faut nécessairement qu’il existe un choc de grande ampleur. Or, il est impossible d’imaginer que, laissés à eux-mêmes, un nombre considérable d’agents économiques décideraient brutalement de modifier leurs activités de manière très significative, par exemple en réduisant leur production ou en cessant de travailler. Pour qu’il en soit ainsi il faut un changement imprévu et de grande ampleur dans leur environnement. On invoque parfois à ce sujet un choc de productivité. Or, si un tel choc peut se produire dans quelques secteurs d’activité spécifiques, il est totalement inimaginable qu’il se produise simultanément dans la plupart des secteurs, ce qui serait nécessaire pour qu’il y ait véritablement instabilité économique. C’est pourquoi il est impossible de trouver des chocs déstabilisants en-dehors de ceux qui peuvent être provoqués par l’État. Celui-ci, en effet, de par son importance à notre époque, est seul capable de prendre des décisions susceptibles d’avoir des conséquences macroéconomiques de grande ampleur. Tel est le cas, par exemple, s’il introduit brutalement des règlementations qui perturbent le fonctionnement du marché du travail (du type « 35 heures »…) ou s’il modifie de manière significative le système fiscal et détruit par là-même les incitations productives de beaucoup de gens. Les chocs réels d’origine étatique peuvent donc être à l’origine de l’instabilité économique. Mais les chocs les plus fréquents sont les chocs monétaires comme l’ont si bien souligné les économistes de « l’école autrichienne ».

À notre époque, on attribue toutes sortes de rôles positifs à la politique monétaire. Considérons tout d’abord son rôle dans les processus inflationnistes. Pendant longtemps on refusait de reconnaître le fait que l’inflation est un phénomène monétaire. En témoigne la distinction traditionnelle et absurde entre « l’inflation par la demande » et « l’inflation par les coûts » qui consiste implicitement à attribuer des causes réelles – et non monétaires – à l’inflation.2 Mais on admettait cependant que la politique monétaire pouvait être utilisée pour lutter contre l’inflation. Cela est certes préférable à la recette – elle aussi traditionnelle – consistant à imposer le contrôle des prix, mais cette manière de penser et d’agir n’en est pas moins paradoxale. On considère en effet qu’il peut être de la responsabilité des autorités monétaires de mener une politique anti-inflationniste. Mais si l’inflation existe c’est parce qu’il y a eu une politique monétaire inflationniste. On ne devrait donc pas parler de politique de lutte contre l’inflation – considérée comme un aspect de la politique de stabilisation – mais plutôt d’arrêt de la politique monétaire inflationniste. En d’autres termes, en luttant contre l’inflation on ne pratique pas une politique de stabilisation, mais on met fin à une politique de déstabilisation !

Il faut reconnaître qu’il est maintenant plus généralement admis – heureusement – que l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire et Milton Friedman a très probablement joué un rôle positif en le rappelant constamment. Mais bien d’autres leçons restent à apprendre ! C’est ainsi qu’on se félicite très généralement de l’adoption par la banque centrale américaine du « quantitative easing » ou de la décision de la Banque centrale européenne de mettre en œuvre un programme d’achats d’actifs financiers (auquel on a d’ailleurs finalement donné aussi le nom de « quantitative easing »). On attend la relance économique d’une politique d’expansion monétaire, souvent couplée à une politique budgétaire, elle aussi expansionniste.

II – Les illusions de la politique monétaire

Il est caractéristique que tous ceux – fort nombreux – qui préconisent une politique monétaire expansionniste pour relancer l’économie ne prennent pas la peine d’expliciter les raisons de leurs préconisations. Ceci est d’autant plus contestable qu’on devrait admettre comme exigence absolue de toute démarche scientifique l’idée qu’on ne peut pas proposer une solution à un problème sans préciser les causes de ce problème : on ne peut espérer résoudre un problème qu’en en supprimant les causes.

Prenons un exemple : en France – comme dans un certain nombre d’autres pays – on a depuis des années et même des décennies un taux de croissance faible et un taux de chômage élevé. Ceci s’explique par le fait que les incitations productives sont détruites par des règlementations excessives (en particulier sur le marché du travail) et par une fiscalité à la fois trop lourde et mal conçue.3 Il devrait être évident que ce n’est pas en créant des encaisses monétaires supplémentaires qu’on obtiendra une croissance plus forte et un chômage plus faible, si l’on ne supprime pas les causes de ces phénomènes !

On peut d’ailleurs préciser que la situation économique de la France dans des années récentes a résulté de la juxtaposition d’une stagnation de long terme – pour les raisons que nous venons d’indiquer – et de la crise conjoncturelle qui a commencé en 2007-2008. Or cette dernière a été la conséquence d’une politique monétaire déstabilisatrice aux États-Unis et en Europe. Cette crise constitue une illustration parfaite de la théorie autrichienne du cycle : un excès de création monétaire au début du XXIe siècle a évidemment été accompagné de taux d’intérêt très bas qui ont incité les investisseurs à faire de mauvais choix d’investissement. Ce n’est pas en pratiquant à nouveau une politique monétaire expansionniste que l’on peut surmonter les effets de cette crise !

La théorie autrichienne des crises a fort bien montré que la politique monétaire était à l’origine d’illusions. En effet, les autorités monétaires imposent des taux d’intérêt beaucoup plus faibles que les taux d’intérêt d’équilibre, c’est-à-dire ceux qui résulteraient de la libre confrontation des demandes de fonds prêtables par les investisseurs et des offres de fonds prêtables par des épargnants décidant volontairement de leurs choix d’épargne et de consommation. Ce faisant, elles créent l’illusion que l’épargne est plus abondante qu’elle ne l’est en réalité et elles provoquent des distorsions dans les structures de prix et les structures productives, qui sont à l’origine de la crise financière et économique.

C’est un autre type d’illusions dues à la politique monétaire que, pour sa part, Milton Friedman avait efficacement dénoncé, par sa critique de la « courbe de Phillips ». Comme on le sait, celle-ci prétend qu’il existe une relation inverse entre l’inflation et le taux de chômage, ce qui donnerait une légitimité à la politique monétaire expansionniste : en acceptant une politique inflationniste on pourrait résoudre le problème du chômage. Milton Friedman a bien montré que cette courbe de Phillips pouvait exister à court terme dans la mesure seulement où elle créait des illusions, c’est-à-dire qu’elle fournissait de mauvaises informations au marché du travail : lorsqu’un processus inflationniste commence, il faut un peu de temps pour que les salariés s’en rendent compte et qu’ils obtiennent des augmentations de salaires nominaux en compensation de la hausse des prix. Il en résulte donc momentanément une baisse des salaires réels qui peut inciter les employeurs à accroître l’emploi. Mais à plus long terme les illusions se dissipent évidemment et l’information devient de plus en plus correcte. On a alors une courbe de Phillips inversée, car l’inflation détruit les incitations productives, d’une part par les incertitudes qu’elle crée et, d’autre part, par le fait que la monnaie joue moins bien son rôle.

Il est alors tout à fait surprenant qu’un nombre considérable de gens – dont beaucoup sont même considérés comme des experts – continuent à croire dans les mérites de la politique monétaire expansionniste, alors qu’elle ne peut produire que des illusions et des destructions. S’il en est ainsi ce ne peut être que pour deux raisons : l’ignorance ou l’intérêt (ou la combinaison de l’ignorance et de l’intérêt). Certes, on peut tout de même comprendre que l’ignorance soit aussi répandue car les phénomènes en cause sont complexes et ils résultent de l’interdépendance d’un grand nombre de variables. La tentation existe donc de se contenter d’une observation superficielle des faits et de raisonnements simplifiés.

Ainsi en face d’une situation de stagnation économique et de chômage élevé, on se demande comment faire pour produire plus et on se contente d’une réponse qui semble évidente : si on accroît la demande qui s’adresse aux producteurs, ceux-ci vont produire plus. Mais on devrait alors soulever facilement une objection à l’encontre d’une telle proposition : comment se fait-il, par exemple, que les producteurs français ne produisent pas plus et n’embauchent pas davantage, alors qu’ils font face à une demande pratiquement illimitée, la demande mondiale. S’ils ne le font pas, c’est qu’ils n’ont pas intérêt à le faire, ce qui signifie que le problème n’est pas un problème d’insuffisance de demande, mais un problème d’insuffisance d’incitations productives.

Ainsi, comme nous l’avons déjà souligné, les excès de fiscalité et de règlementations détruisent ces incitations et l’augmentation de la demande globale – si elle était possible – ne résoudrait évidemment pas le problème. Au demeurant c’est aussi une illusion de penser que l’on peut augmenter la demande globale. Ainsi, si on augmente les dépenses publiques, il faut bien financer cette augmentation, soit par l’impôt, auquel cas on diminue la demande privée, soit par l’emprunt, auquel cas on diminue la demande de biens d’investissement.

En réalité ceux qui sont favorables à une politique monétaire expansionniste considèrent plus ou moins implicitement que celle-ci permettrait d’augmenter la demande globale et donc la production. Ils raisonnent instinctivement à partir des schémas courants de la vulgate keynésienne consistant à penser que la relance économique s’obtient par une augmentation de la demande globale. On pense alors, de manière plus ou moins vague, qu’en augmentant les encaisses monétaires on stimule la demande; ou bien on pense, plus ou moins implicitement, que la création monétaire s’accompagnant d’une distribution de crédits, on accroît ainsi l’investissement, c’est-à-dire un élément de la demande globale.

Toutes ces idées sont erronées, mais si elles sont si généralement admises c’est aussi parce que cela va dans le sens des intérêts de la classe politique. Les préceptes keynésiens donnent une légitimité à la politique de déficit public. Mais ils permettent aussi de légitimer une politique monétaire expansionniste.4 À titre d’exemple, il est tentant pour un gouvernement de détourner l’attention du public des vrais problèmes – les excès de fiscalité et de règlementations – en prétendant par exemple que la banque centrale européenne fait une politique monétaire trop restrictive.

Lors de la création de la banque centrale européenne on avait admis qu’il fallait lui donner pour objectif la stabilité des prix. Mais on en est venu à définir la stabilité des prix comme un taux d’inflation inférieur à 2 % et même à considérer que la banque centrale européenne devait avoir pour objectif d’atteindre un taux d’inflation de 2 % ! Pourtant, un tel taux n’est pas négligeable puisqu’il correspond à un taux d’intérêt négatif de 2 % sur les encaisses monétaires. Or, la grande crainte de notre époque n’est pas la crainte de l’inflation, mais la crainte de la déflation au point qu’on en arrive même fréquemment à considérer qu’on se trouve en situation de déflation si on n’atteint pas le taux de 2 % d’augmentation des prix ! Que signifie en réalité la déflation ? Elle se définit comme une situation où les prix en monnaie des biens diminuent, c’est-à-dire que le prix de la monnaie en termes de biens augmente. En d’autres termes, la déflation augmente le pouvoir d’achat de la monnaie. Or, la monnaie a pour rôle de constituer un pouvoir d’achat en attente et elle est d’autant plus utile qu’elle conserve mieux son pouvoir d’achat. De ce point de vue on doit être favorable à la déflation puisqu’elle signifie que le pouvoir d’achat de la monnaie augmente. Or, ce qui est admirable, pour fournir aux utilisateurs de monnaie une monnaie de plus grande qualité, il n’est pas nécessaire de supporter des coûts quelconques. Il suffit pour cela de ne pas faire de création monétaire.

On aboutit ainsi à deux propositions absolument irréfutables, à savoir, d’une part, que la déflation est souhaitable et, d’autre part, qu’il n’est jamais nécessaire de créer de la monnaie. En effet, la création de monnaie est une création d’encaisses nominales, mais plus on crée d’encaisses nominales, plus il y a d’inflation et plus il y a diminution de la valeur réelle des encaisses monétaires. Il est tout à fait étonnant que ces propositions, bien qu’elles soient irréfutables, soient très largement ignorées, sauf quelques exceptions.

Il devrait donc être clair qu’un système monétaire est d’autant meilleur qu’il est moins inflationniste. De ce point de vue, les systèmes monétaires modernes ne sont certainement pas les meilleurs et l’on n’a d’ailleurs jamais eu autant d’inflation et de crises monétaires que dans l’époque moderne, plus précisément depuis que des banques centrales publiques disposent d’un pouvoir de monopole pour la création monétaire. Il est alors légitime de s’interroger sur les réformes possibles qui permettraient d’obtenir de meilleures monnaies.

III – Vers de nouveaux systèmes monétaires ?

L’objectif que l’on devrait donner à un système monétaire est tout à fait clair : limiter ou même supprimer la création monétaire. Étant donné qu’il est non seulement vain, mais dangereux, de prétendre atteindre des objectifs macroéconomiques – tels qu’un taux de croissance élevé ou un taux de chômage faible – par l’usage de la politique monétaire, tout ce que l’on devrait demander à un système monétaire serait d’offrir une monnaie de qualité, c’est-à-dire une monnaie qui apporte le mieux possible à ses utilisateurs les services qu’on peut en attendre. Elle doit pour cela maintenir ou même accroître son pouvoir d’achat dans le temps et être utilisable au moindre coût.

On peut tout d’abord songer, bien sûr, à améliorer le fonctionnement des systèmes monétaires existants, en imposant des limites au pouvoir de création monétaire des autorités monétaires. Les propositions en ce sens sont nombreuses et bien connues et il ne peut être question ici de les passer toutes en revue. On préconise tout d’abord bien souvent de rendre les banques centrales indépendantes et on entend par cela le fait de les rendre indépendantes du pouvoir politique. Cela est certes souhaitable dans la mesure où le pouvoir politique est par nature irresponsable et où l’on connaît d’innombrables exemples dans l’Histoire récente de gouvernements qui utilisent la création monétaire pour financer des déficits budgétaires parfois considérables. Il en résulte évidemment des taux d’inflation élevés et même de l’hyper-inflation (comme cela a été le cas récemment, par exemple, dans des pays tels que le Zimbabwe ou le Venezuela).5

De ce point de vue l’indépendance est justifiée. Mais c’est une illusion de penser qu’elle permet d’obtenir une politique monétaire raisonnable. En effet, être indépendant c’est agir sans aucun contrôle extérieur, donc être irresponsable. Les banquiers centraux indépendants peuvent donc faire un bon ou un mauvais usage de leur indépendance. Ils sont victimes de leurs connaissances, de leurs préjugés, mais aussi des pressions qu’ils subissent, par exemple celles de l’opinion publique ou celle des politiciens (à l’égard desquels l’indépendance est formelle plus que réelle). On en voit l’exemple avec la banque centrale européenne qui cède aux pressions en faveur d’une politique monétaire expansionniste.

Comme cela est bien connu, Milton Friedman a proposé l’adoption d’une « règle monétaire » consistant à imposer aux autorités monétaires un taux de croissance maximum de la masse monétaire (ou de la base monétaire), quelles que soient les circonstances (ce qui est censé éviter les politiques discrétionnaires qui sont souvent à l’origine d’une situation de « stop-and-go », c’est-à-dire d’une évolution cyclique). Cette règle a été plus ou moins adoptée dans de nombreux pays et elle a contribué à diminuer l’inflation par rapport à ce qu’elle avait été, par exemple, dans les années soixante-dix. Mais elle a souvent été modifiée et, au lieu, de retenir un objectif de taux de croissance monétaire, on a maintenant tendance à retenir un objectif de taux d’inflation (comme cela est le cas pour la BCE). Or, la mesure du taux d’inflation est incertaine et il existe toutes sortes de décalages entre l’expansion monétaire, l’inflation qui en résulte, la mesure du phénomène, la prise de conscience, la prise de décision, les effets de ces décisions. Il en résulte donc également une situation d’instabilité monétaire.

Le retour à l’étalon-or est par ailleurs parfois préconisé pour limiter la création monétaire. Certes l’existence de garanties de convertibilité à prix fixe entre une monnaie et l’or constitue en principe un moyen puissant d’éviter des décisions discrétionnaires dans la production de monnaie et d’éviter une création excessive de monnaie. Mais il existe plusieurs sortes d’étalon-or et ce qui est important est de savoir qui donne la garantie de convertibilité à prix fixe de la monnaie contre l’or.

Lorsque cette garantie était donnée, par exemple au XVIIIe siècle, par des banquiers privés capitalistes, ils étaient incités à respecter leurs engagements de convertibilité car, sinon, ils auraient pu être poursuivis pour non-respect du contrat qu’ils avaient fait avec leurs clients et/ou ils auraient probablement fait faillite, car ils auraient perdu leurs clients. Mais lorsque la garantie de convertibilité en or est donnée par une banque centrale publique, il en va tout autrement. On considère en effet, très curieusement, qu’une organisation publique peut changer de manière discrétionnaire les termes de ses contrats ou même, tout simplement, que ses engagements ne sont pas de nature contractuelle. Ainsi une banque centrale publique peut décider unilatéralement de faire une création monétaire excessive et de dévaluer sa monnaie devenue trop abondante. On considère en général qu’une dévaluation constitue un instrument de politique économique utile, alors qu’on devrait l’appeler pour ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire un vol dont les détenteurs de monnaie sont victimes.6

De manière générale il est illusoire de penser qu’on peut obtenir une limitation de la création monétaire en imposant des règles– ce qu’on peut appeler une Constitution monétaire – aux autorités monétaires. Qu’il s’agisse de la « règle monétaire », de l’étalon-or, ou de toute autre prescription, on est malheureusement obligé d’admettre qu’une autorité publique a toujours la possibilité de ne pas respecter les règles qu’on prétend lui imposer. Le problème monétaire de notre époque vient du fait que la création monétaire est contrôlée par des banques centrales publiques qui bénéficient d’un monopole absolu sur leur territoire (au moyen, par exemple, du cours forcé et du contrôle des changes). Le monopole est toujours mauvais, mais un monopole durable est nécessairement un monopole d’origine publique, comme l’illustre trop bien le fonctionnement des systèmes monétaires de notre époque. C’est pourquoi on doit reconnaître qu’il existe une seule solution au problème monétaire : avoir recours à la concurrence.

Un progrès serait déjà réalisé si on introduisait la concurrence entre les monnaies existantes, c’est-à-dire si on autorisait les résidents d’un pays (ou d’un groupe de pays, comme ceux de l’eurozone) à utiliser la monnaie qu’ils préfèrent. Ceci impliquerait essentiellement la suppression du cours forcé et de l’obligation de payer ses impôts avec la monnaie nationale.7 On pourrait espérer dans ce cas que les autorités monétaires soient dans une certaine mesure freinées dans leur propension à faire de la création monétaire par leur crainte de voir les détenteurs de monnaie fuir les mauvaises monnaies pour se réfugier dans de meilleures monnaies. En tout cas, on donnerait à ces détenteurs une liberté de choix qui leur serait utile et on voit d’ailleurs mal au nom de quel principe on peut actuellement les en priver !

Mais il est par ailleurs évident qu’il faut aller bien au-delà d’une concurrence limitée aux monnaies publiques et nationales. Il n’y a en effet aucune justification pour les idées habituelles selon lesquelles la monnaie doit nécessairement être produite par des autorités publiques ou qu’elle constitue un élément de la « souveraineté nationale ». Dans tous les domaines la concurrence est souhaitable car elle incite chaque producteur à faire mieux que les autres. Or il est intéressant de constater qu’au cours des années récentes, un grand nombre de monnaies privées sont apparues – la plus connue étant évidemment le bitcoin – en dépit des obstacles législatifs considérables que les États essaient de leur opposer.

Il ne peut pas être question de décrire ici en détail le fonctionnement de systèmes monétaires caractérisés par la coexistence de plusieurs monnaies privées en concurrence, d’autant plus d’ailleurs que l’un des mérites de la concurrence provient précisément du fait qu’elle est un « processus de découverte » (selon l’expression utilisée par Friedrich Hayek), de telle sorte qu’il serait illusoire de penser que l’on peut imaginer toutes les innovations qui pourraient apparaître dans des systèmes parfaitement concurrentiels. Mais on peut tracer les grands traits des évolutions possibles à partir de la connaissance que l’on peut avoir des caractéristiques et des rôles des monnaies.

Pour analyser ces monnaies privées concurrentielles et évaluer leur qualité, il convient de se demander dans quelle mesure elles se rapprochent de ce que l’on peut considérer comme une bonne monnaie. Il suffit pour cela de se référer à la définition de la monnaie, à savoir qu’une monnaie constitue un pouvoir d’achat généralisé. Une monnaie est d’autant meilleure qu’elle est plus échangeable contre n’importe quoi, auprès de n’importe qui et à n’importe quel moment. En d’autres termes l’échangeabilité – ou liquidité – d’une monnaie dépend de sa capacité à maintenir ou à améliorer son pouvoir d’achat au cours du temps et de la plus ou moins grande dimension de son aire de circulation.

Considérons tout d’abord le pouvoir d’achat de la monnaie. Il s’accroit d’autant plus que la monnaie devient plus rare par rapport aux transactions qu’elle permet d’assurer. Il existe plusieurs moyens d’obtenir cette rareté relative croissante de la monnaie. En premier lieu il est possible de donner à la monnaie une garantie de convertibilité à prix fixe en termes d’un bien qui bénéficie lui-même d’une rareté relative croissante. Tel était précisément le cas avec l’or et on peut même penser qu’il a été sélectionné pour définir la monnaie parce que la croissance lente du stock d’or permettait d’éviter une création excessive de monnaie et qu’elle donnait un caractère de prévisibilité à la valeur de la monnaie. On peut donc facilement imaginer qu’une monnaie privée bénéficie d’une garantie de convertibilité à prix fixe en termes d’or et c’est d’ailleurs ce qui a existé récemment avec l’e-gold (que les autorités monétaires américaines ont malheureusement réussi à interdire). Mais on peut aussi imaginer des garanties de convertibilité en termes d’un autre bien, d’un panier de matières premières ou même d’un panier d’actions et d’actifs financiers (par exemple ceux qui entrent dans la définition du CAC 40).

Mais il existe un autre moyen de créer une rareté relative de la monnaie (donc d’accroître son pouvoir d’achat) : il suffit de décider qu’à partir du moment où un certain nombre d’unités monétaires ont été créées, il devient impossible d’ajouter une seule unité supplémentaire. L’hypothèse théorique que nous avons envisagée ci-dessus, celle où la masse monétaire est constante et où il y a par conséquent une situation de déflation peut ainsi se concrétiser de manière simple et efficace. Or, il est intéressant de noter que c’est précisément ce système qui a été choisi pour le fonctionnement du bitcoin : en effet il a été décidé dès le lancement du bitcoin que le nombre d’unités monétaires augmenterait progressivement jusqu’à ce qu’on ait atteint un montant maximum, à partir duquel aucune addition à la masse de bitcoins existante ne sera possible.

Considérons en deuxième lieu le problème de l’aire de circulation d’une nouvelle monnaie privée. Il y a dans le domaine de la monnaie un processus cumulatif qui joue un rôle important. En effet, une monnaie est d’autant plus utile pour quelqu’un qu’elle est plus utile pour les autres. Si je possède une unité de monnaie qui conserve bien le pouvoir d’achat, mais si personne n’accepte cette monnaie (par manque d’information ou pour toute autre raison, par exemple, un manque de confiance) cette monnaie ne m’est pas utile. Mais plus elle est demandée, plus elle est utile et plus elle est utile plus elle est demandée. Ce phénomène a deux implications :

  • Il signifie qu’il existe des coûts de lancement d’une nouvelle monnaie, puisque cette monnaie a nécessairement une utilité limitée au début. L’inventeur d’une nouvelle monnaie doit donc supporter un coût d’investissement initial pour faire connaître et circuler sa monnaie. Mais il est également possible d’en faire un produit complémentaire lié à d’autres services, par exemple ceux qui sont fournis par ce qu’on appelle un « réseau social ». Tel est le cas de la libra, lancée en 2019 par Facebook. Mais il est aussi caractéristique de ce point de vue qu’il existe maintenant un nombre non négligeable de « monnaies locales » qui circulent seulement dans une aire géographique limitée. En utilisant une de ces monnaies les individus ne recherchent pas seulement un bon maintien du pouvoir d’achat et une aire de circulation importante, mais ils la considèrent comme un moyen d’exprimer une préférence pour les biens vendus par leurs concitoyens proches (puisque cette monnaie n’est acceptée précisément que dans un cadre local limité). Ceci signifie d’ailleurs que les motifs de la détention d’une monnaie peuvent être plus nombreux qu’on ne le pense traditionnellement et qu’une monnaie peut aider à atteindre plusieurs objectifs.
  • Le caractère cumulatif de l’utilité d’une monnaie (sous réserve de ce que nous venons de voir à propos des monnaies locales) pourrait conduire à penser qu’on améliore constamment l’utilité d’une monnaie en élargissant son espace de circulation, de telle sorte qu’il pourrait être « optimal » pour les détenteurs de monnaie qu’il existe une seule monnaie dans le monde. C’est d’ailleurs un peu cette préoccupation qui a prévalu lors de la création de l’euro : on a considéré qu’on offrait ainsi de meilleurs services de liquidité aux individus en élargissant l’espace de circulation de la monnaie qu’ils utilisent. Mais il faut nuancer cette appréciation. En effet, tout d’abord, même s’il est indéniable qu’on obtient un gain marginal en augmentant l’espace de circulation d’une monnaie, ce gain marginal est nécessairement décroissant et il se peut qu’à partir d’une certaine dimension il devienne négligeable. Or, nous venons de voir qu’il pouvait exister un besoin de diversification des monnaies. Dans un monde où il existerait un grand nombre de monnaies librement utilisables par les individus, chacune d’entre elles offrirait un ensemble de services dans des proportions différentes. Or, l’une des grandes vertus de la concurrence tient au fait qu’en incitant chaque producteur d’un bien à faire mieux que les autres, elle conduit à une grande diversification et donc à une plus grande liberté de choix pour les consommateurs. Ce gain de diversification est tempéré dans le cas spécifique de la monnaie par l’existence du processus cumulatif décrit ci-dessus, mais il n’est pas totalement supprimé. Autrement dit, il existe plusieurs critères de choix pour les monnaies et chaque individu peut désirer combiner différemment ces critères. C’est pourquoi il n’est absolument pas certain qu’une monnaie mondiale unique correspondrait à un optimum (c’est-à-dire qu’elle serait préférable pour tous les individus du monde). Il n’a pas non plus été prouvé qu’il était préférable d’avoir une monnaie unique en Europe plutôt que plusieurs et il n’y a d’ailleurs pas de raison a priori de considérer que l’Europe est un espace monétaire « optimal ».

Dans cette recherche du degré optimal de diversification (et d’homogénéisation) la meilleure méthode consiste à expérimenter, c’est-à-dire à permettre aux individus d’exprimer par leurs libres choix quelles sont les caractéristiques des monnaies qui sont importantes à leurs yeux. On peut penser a priori que la capacité à maintenir ou à accroître le pouvoir d’achat est importante pour la plupart des gens, mais il est probable que certains préfèrent une monnaie avec une large aire de circulation (par exemple parce qu’ils sont actifs dans les échanges internationaux ou les voyages internationaux), mais que d’autres préfèrent des monnaies à circulation plus limitée, que certains souhaitent une définition de la monnaie en termes d’un panier de matières premières, d’autres préfèrent simplement une masse monétaire constante, etc. Tous les planificateurs étatistes prétendent connaître ce qui est le mieux pour « la société », mais personne ne peut en fait connaître les souhaits monétaires de tous les individus de la planète et, répétons-le, il n’y a pas d’autre méthode justifiée que l’expérimentation par la concurrence et le libre choix.

Quelques remarques supplémentaires peuvent être utiles pour bien comprendre et évaluer le fonctionnement d’un système monétaire concurrentiel. Tout d’abord la qualité d’une monnaie ne dépend pas seulement de ses caractéristiques formellement annoncées, mais aussi de la crédibilité de ces annonces. Ainsi, il ne suffit pas qu’une monnaie bénéficie d’une garantie de convertibilité, il faut encore que cette garantie soit crédible.

Comme nous l’avons déjà souligné la crédibilité est d’autant plus grande qu’elle est donnée par des personnes responsables, c’est-à-dire des personnes qui supportent elles-mêmes les conséquences de leurs actions : un émetteur de monnaie qui n’honore pas son engagement de convertibilité peut faire faillite, perdre sa clientèle, être poursuivi devant les Tribunaux. De même, si la qualité d’une monnaie provient – comme c’est le cas pour le bitcoin – de la promesse de maintenir la quantité de monnaie à un niveau constant, il est crucial que l’on puisse avoir confiance dans cette promesse.

En effet, on peut toujours imaginer que le producteur de monnaie qui a fait cette promesse produise une plus grande quantité de monnaie, en tire un profit qu’il convertit en d’autres monnaies et accepte, ce profit étant fait, que sa monnaie disparaisse. Des procédures doivent donc être imaginées pour garantir la confiance dans les promesses faites. Mais imaginons par ailleurs que, pour une raison quelconque (qui peut être précisément une diminution de la confiance) il y ait une diminution des transactions pour lesquelles on utilise une monnaie donnée. Il en résulte une surabondance relative de cette monnaie, c’est-à-dire qu’elle devient inflationniste.

Cela incite donc les utilisateurs de cette monnaie à l’abandonner pour une autre, moins inflationniste, et un processus cumulatif est ainsi enclenché, l’inflation diminuant la demande de cette monnaie, ce qui perpétue l’inflation, ce qui conduit finalement à la disparition de cette monnaie (ce qui n’arriverait pas avec une monnaie bénéficiant d’une garantie de convertibilité à prix fixe). L’expérience du bitcoin montre aussi qu’il peut y avoir des fluctuations importantes de la valeur d’une monnaie de ce type (par rapport, par exemple, à une monnaie publique telle que le dollar ou par rapport à des biens réels) dans la phase de lancement, à cause des incertitudes concernant la désirabilité de cette monnaie et son pouvoir d’achat futur.

Même si ce n’est pas nécessairement le cas, on peut considérer que les monnaies privées existantes ou futures sont des monnaies électroniques qui sont créées et qui circulent sur le réseau internet. Il en résulte des conséquences importantes, en particulier le fait que les coûts de transaction sont négligeables pour le transfert des unités monétaires d’un détenteur à un autre, mais aussi pour les opérations de change entre deux monnaies de ce type. Les coûts d’information sur le pouvoir d’achat de ces monnaies ou sur leur taux de change soit avec d’autres monnaies électroniques, soit avec les monnaies publiques et nationales, sont eux aussi négligeables. Ceci signifie que le coût de la diversification des monnaies en est réduit. Ainsi, il est peu coûteux pour un individu de détenir plusieurs monnaies électroniques car il peut presque instantanément et à un coût presque nul connaître toutes les caractéristiques des monnaies qu’il utilise ou qu’il veut utiliser.

Mais il existe cependant une difficulté que l’on comprend bien en se référant au « théorème de régression » de Ludwig von Mises. Celui-ci a souligné qu’un individu n’a pas immédiatement conscience de l’utilité pour lui d’une monnaie et ce n’est que par l’expérience que l’on peut avoir une idée du pouvoir d’achat d’une monnaie qu’on utilise. On l’a bien vu lors de l’introduction de l’euro car il a fallu aux détenteurs de cette nouvelle monnaie plusieurs mois ou plusieurs années avant de raisonner directement en euros sans avoir à effectuer la conversion d’un prix de l’euro vers la monnaie précédemment utilisée, par exemple le franc. Il y a là un facteur qui peut limiter la diversification des monnaies.

Une monnaie électronique ne peut pas être localisée (contrairement à ce qui se passe avec une monnaie traditionnelle pour laquelle les billets constituent une forme concrète et visible et les dépôts sont localisés dans une institution bancaire). Cela permet aux échangistes de rester anonymes. L’anonymat est souvent considéré comme un risque parce qu’il permettrait de couvrir des activités illégales, ce qu’on invoque souvent, par exemple, au sujet du bitcoin. Mais il a aussi un avantage, précisément parce que les autorités monétaires sont soucieuses de préserver leurs monopoles monétaires et elles sont prêtes à considérer les monnaies privées comme des monnaies illégales, donc à les interdire. Mais l’interdiction n’est pas facile à mettre en œuvre lorsque les transactions sont anonymes. L’anonymat préserve donc la concurrence et ses bienfaits.

Les monnaies privées transforment profondément le fonctionnement des systèmes monétaires. Ainsi, ce sont les banques qui produisent et font circuler les monnaies traditionnelles (nationales et étatiques). Cette fonction leur est éventuellement ôtée dans le cas des monnaies privées, en particulier pour les monnaies électroniques. À la limite on peut imaginer que les fonctions monétaires soient exercées par toutes sortes d’entreprises ou d’individus et que les banques soient cantonnées à leurs seules véritables et traditionnelles activités, à savoir la transformation et le transfert de l’épargne. Par ailleurs, avec les monnaies privées, on voit disparaître la coïncidence qui existe actuellement entre l’espace monétaire et l’espace national. L’aire de circulation d’une monnaie privée ne peut pas être géographiquement déterminée. Elle est constituée par les activités d’individus dispersés sur tout le globe terrestre et les différentes aires de circulation des différentes monnaies se juxtaposent, puisque tout individu peut détenir plusieurs monnaies différentes.

Si les monnaies privées arrivaient à surmonter les obstacles juridiques que les autorités monétaires essaient de leur opposer pour défendre leurs monopoles actuels, on pourrait imaginer que les monnaies publiques et nationales disparaissent complètement et avec elles la notion même de politique monétaire. On ne pourrait plus demander à des producteurs de monnaie d’accroître la quantité de monnaie sous prétexte de relancer l’économie. Ces monnaies privées seraient très probablement non-inflationnistes (sinon elles ne seraient pas désirées et donc demandées). On éviterait par ailleurs le processus si bien décrit par la théorie autrichienne du cycle où les manipulations du taux d’intérêt créent des cycles économiques et des distorsions dans les structures de prix et de production. Les individus disposeraient de monnaies plus utiles et n’auraient plus à subir les conséquences néfastes des politiques monétaires déstabilisantes.

Pascal Salin

  1. Publié dans Schweitzer, S. et D. Augey, eds, De l’économie politique à l’économie éthique – Mélanges offerts à Jean-Yves Naudet, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2015
  2. Je me souviens d’avoir lu un rapport qui avait été commandé par la Commission de la Communauté Économique Européenne à un prétendu expert en économie, Jacques Delors. Celui-ci avait réussi l’exploit d’écrire une soixantaine de pages sur l’inflation sans mentionner la monnaie !
  3. Il serait évidemment trop long d’en faire la démonstration dans le cadre du présent texte. Nous l’avons fait, par exemple, dans notre ouvrage, La tyrannie fiscale, Paris, Odile Jacob, 2014.
  4. Le succès de la théorie keynésienne est un phénomène d’autant plus étonnant que la Théorie générale de Keynes est un livre particulièrement obscur, mal écrit, utilisant des concepts flous et faisant appel à des hypothèses arbitraires non compatibles avec ce que l’on sait de la rationalité humaine. Mais c’est peut-être en partie ces défauts qui ont contribué à son succès car ils permettent des interprétations variées et même contradictoires en fonction des préjugés de chacun.
  5. Je me souviens personnellement d’une conversation que j’avais eue il y a un certain nombre d’années avec le ministre des finances de la Zambie (qui avait fait ses études d’économie en URSS…). Comme il me disait que le taux d’intérêt était trop élevé – 50 % – je lui ai demandé quel était le taux d’inflation et il m’a répondu : 100 %. Comme elles cherchaient malgré tout à maintenir un taux de change fixe avec le dollar, les autorités monétaires avaient évidemment instauré un contrôle des changes extrêmement sévère. Seule arrivait à obtenir des devises pour importer une nomenklatura proche du pouvoir. Mais les paysans manquaient absolument de tout (engrais, pièces détachées, essence, etc..) et la production agricole s’était effondrée dans ce pays qui avait été un peu le grenier de l’Afrique. Il est très facile de détruire un pays par des manipulations monétaires…
  6. Il est de ce point de vue extrêmement choquant que l’on ait pu, par exemple, préconiser que la Grèce sorte de la zone euro de manière à pouvoir dévaluer sa monnaie (et alléger par la même occasion le poids de la dette publique au détriment des créanciers de l’État grec). Le relativisme moral de notre époque conduit à considérer comme normal et même souhaitable un comportement de voleur lorsqu’il est le fait d’une autorité publique, alors qu’il ne serait pas admis dans la société civile (qu’on devrait d’ailleurs appeler la société civilisée…).
  7. Un exemple de concurrence limitée est donné par la Bulgarie, où la banque centrale autorise l’usage de la monnaie nationale ou de l’euro.

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