La catallactique

La catallactique (aussi appelée catallaxie), c’est ainsi que l’école autrichienne d’économie nomme l’économie, à la suite de Ludwig von Mises. La catallactique est englobée dans la science de l’agir humain, la praxéologie. En effet, tous les individus agissent. Certaines de leurs actions sont catallactiques, c’est-à-dire économiques. Mais il peut être malaisé de distinguer les actions catallactiques, car l’action humaine n’est pas forcément dissociable.

L’économie, c’est l’échange

Friedrich Hayek explique que le terme catallactique « a été tiré du terme katallatein (ou katallassein) qui signifiait originairement, et de façon éclairante, non seulement « échanger » mais aussi « admettre dans la communauté » et « faire d’un ennemi un ami ». De là, l’adjectif « catallactique » a été dérivé pour remplacer « économique » afin de désigner l’espèce de phénomène dont s’occupe la science de la catallactique. » (Droits, législation et liberté, T2)

Mises a écrit :

« Il n’y a jamais eu de doutes ni d’incertitudes quant au domaine de la science économique. Depuis le moment où les gens ont souhaité une étude systématique de l’économie ou économie politique, tous ont été d’accord que la mission de cette branche du savoir est d’étudier les phénomènes de marché ; c’est-à-dire, la détermination des taux d’échange mutuels des biens et services négociés sur les marchés, leur source dans l’agir de l’homme et leurs répercussions sur ses actions ultérieures. » 

L’action humaine

Ce que l’on peut souligner, c’est que l’échange est au cœur de la catallactique, au cœur de l’économie donc. Nous avons remarqué dans un premier temps que l’intérêt pour l’économie provient de la multiplication du commerce international au seizième siècle, qui a suscité l’intérêt des scolastiques espagnol (voir ici). Puis, nous avons vu ce qu’était l’échange (voir ici) : chacun y tire son bénéfice. Ensuite, nous avons vu que le prix naît de l’échange (voir ici).

Au sein de la praxéologie, la catallactique traite de l’échange, logiquement. Car l’économie, c’est l’échange.

Délimitation de la catallactique

Dès Carl Menger, le fondateur de l’école autrichienne d’économie, l’école autrichienne cherche à distinguer le comportement économique de l’individu, tout en considérant qu’une action n’entre pas forcément dans la seule catégorie « économie ». Comme l’écrivait Menger :

« Seule la totalité des sciences sociales exactes permettrait de nous faire comprendre de manière exacte les phénomènes sociaux, ou une partie déterminée de ceux-ci, dans leur réalité effective empirique tout entière. » (Recherche sur la méthode dans les sciences sociales et en économie politique en particulier)

Cependant, délimiter précisément le champ de la catallactique, au sein de la science de l’action humaine qu’est la praxéologie, n’est pas aisé et ne peut être fait que grossièrement.

Par exemple, rappelons que la valeur est subjective. Chacun classe les différentes utilités d’un objet, d’un service, et la valeur rattachée à ces usages, de manière subjective, en fonction de ses goûts, de ses valeurs morales, etc. Donc, le prix, qui est la quantité de monnaie contre laquelle le bien ou le service est échangé, dépend indirectement de ces critères non économiques. C’est ce que souligne Mises quand il écrit :

« Mais nous ne devons pas sous-estimer le fait que dans la réalité aucune nourriture n’est évaluée seulement pour son pouvoir nutritif, aucun vêtement pour la seule protection qu’il procure contre le froid et la pluie. Il est indéniable que la demande des marchandises est largement influencée par des considérations métaphysiques, religieuses et morales, par des jugements de valeur esthétique, par les coutumes, habitudes, préjugés, traditions, modes changeantes, et par bien d’autres choses. Pour un économiste qui voudrait tenter de cantonner ses recherches aux seuls aspects « matériels », l’objet de la recherche s’évanouit aussitôt qu’il cherche à le saisir. » (L’action humaine)

Et Mises ajoute :

« Tout ce qu’on peut affirmer est ceci : l’économie est principalement intéressée par l’analyse de la détermination des prix en monnaie des biens et services échangés sur le marché. Pour remplir cette tâche, elle doit partir d’une théorie générale de l’agir humain. De plus, elle doit étudier non seulement les phénomènes du marché, mais non moins la conduite hypothétique d’un homme isolé et d’une collectivité socialiste. Finalement, elle ne doit pas confiner ses recherches dans ces modes d’action que le langage courant appelle des actions « économiques », mais les étendre à des actions que, d’une manière de parler lâche, l’on appelle « non économiques ». »

Par conséquent, l’objet de la catallactique, c’est l’étude de l’action humaine dans le cadre de l’économie. L’économie est en effet constituée des actions économiques des individus. Nous sommes dans le cadre de l’individualisme méthodologique : ce sont les actions des individus qui font la société. Mais une action humaine n’est pas motivée spécifiquement par des motifs purement économiques. Donc, délimiter la catallactique est malaisée, et son étude implique l’étude de la science qui l’englobe, la science de l’agir humain, appelée la praxéologie.

Il est malaisé de délimiter le domaine de la catallactique car, par exemple dans le cas de la valeur, le calcul économique est imbriqué dans des considérations non économiques. Par contre, certaines actions peuvent être décomposées en une composante économique et une composante non économique. Par exemple, Mises donne l’exemple suivant :

L’homme qui agit est une unité. L’homme d’affaires qui possède seul sa firme efface parfois la frontière entre les affaires et la charité. S’il souhaite aider un ami dans le besoin, le tact peut lui suggérer un procédé qui évitera à ce dernier la gêne de vivre de charités. Il donne à l’ami un emploi dans son bureau bien qu’il n’ait pas besoin de son aide ou qu’il puisse embaucher quelqu’un d’équivalent pour un salaire moindre. Alors le salaire convenu apparaît, dans la forme, comme une partie des dépenses de l’affaire. En fait il est la dépense d’une fraction du revenu de l’entrepreneur. D’un point de vue strict, c’est une consommation et non une dépense destinée à augmenter les profits de la firme.

L’action humaine

Soulignons ici la précision et la rigueur logique de Mises. Il est parfois reproché à l’économie de tout ramener à un calcul égoïste de bénéfice par rapport au coût. A la suite de Menger, Mises souligne que le comportement économique est englobé dans le comportement global de l’individu. La science économique, la catallactique, tente de l’isoler. Mais la tâche est imprécise. Donc, il faut étudier la praxéologie. La critique de tout ramener au comportement économique n’a plus d’effet.

La catallactique, c’est-à-dire l’économie, fait partie de l’action humaine, elle en est indissociable. C’est une des grandes avancées de Mises en sciences économiques.

La science économique aujourd’hui

Aujourd’hui, la science économique est basée sur des modélisations statistiques, avec de savants calculs sur des agrégats globaux, demande globale, investissements globaux, emploi global, ce qu’on appelle la macroéconomie. L’action humaine, l’individu, l’humanisme sont bien loin. Bien sûr, on vous dira que pour élaborer ces modélisations, on s’est appuyé sur des études portant sur les comportements des individus, ce qu’on appelle la microéconomie.

Implicitement, ces économistes considèrent qu’il existe des relations quantitatives fixes dans les comportements humains. C’est-à-dire qu’un investissement de tant d’euros aura pour conséquence une croissance de tant en pourcentage. C’est une hypothèse forte, mais pas discutée. Pas discutée car elle n’est pas envisagée comme une hypothèse, mais comme un fait. On recherche ce genre de lois en économie, pour faire comme en physique. Seulement, si une pomme ou une météorite suivent les mêmes lois physiques, deux individus différents suivent-ils les mêmes motivations ? Certes, la statistique va déterminer les motivations les plus courantes, et les probabilités vont déterminer les comportements probables. Mais cela ne correspond pas à la détermination de lois comme en sciences physiques. Les statistiques décrivent le passé. Et les probabilités ne sont que… probables. Rien à voir avec les lois de la physique.

L’école autrichienne d’économie a une approche humaniste de l’économie : c’est l’individu, l’être humain qui est au centre de l’économie. Plus précisément, ce sont ses actions, car l’économie, la catallactique, comme la praxéologie, ne cherche pas à connaître les fondements profonds des actions humaines, et étudie juste les actions. De même que, contrairement au socialisme, elle ne cherche pas à formater les individus.

La catallactique est ainsi une approche humaniste de la science économique.

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