La spéculation est au cœur de l’action humaine. L’opposition à la spéculation, de ce fait, est une opposition à l’ action humaine.
– Walter Block, 1981
SOUFFRE DOULEURS
Si la presse et l’intelligentsia françaises ont bien un adversaire ultime, un souffre-douleur permanent, s’il est bien un acteur de l’activité économique qui se voit partout vilipendé et accusé de tous les maux, c’est la finance mondiale. Non seulement on ne lui reconnaît pas ses mérites, ses vertus économiques, son utilité sociale, mais on invente aussi, et sans preuve, des charges contre elle. Son procès dure depuis des décennies et les juges en question ont déjà en poche la sentence de mort. Ils se gardent bien de s’en servir. On n’assassine pas celui qui vous fait vivre.
Profiteurs, égoïstes, exploiteurs sont des exemples courants d’adjectifs – les moins violents encore – envers les marchés financiers et les acteurs qui y travaillent.
Pourtant, le système financier tout entier n’est pas autre chose que le système par lequel s’opère le financement des ménages, des entreprises et des États. Coordonner les flux d’épargne à court, moyen, et long terme, avec les exigences de la demande de crédit, nécessite des interactions économiques complexes et, pour tout dire, l’existence d’un marché financier capable de faire se rencontrer demande et offre de liquidités. Le développement de l’activité économique en dépend. Le système financier n’est pas une conséquence de la révolution industrielle ou du développement économique des deux derniers siècles, il était une condition nécessaire à l’apparition de ceux-ci.
AVANCÉE SENSIBLE
Les marchés financiers, dans leur essence et dans leur logique, représentent une avancée sensible selon l’ordre naturel vers l’efficacité économique libérale, ainsi qu’un rejet du planisme et du socialisme. Consciemment ou inconsciemment, c’est sur ce fondement et pour cette raison que la finance est attaquée par ses adversaires.
Ainsi, financer le développement des entreprises, leur permettre de mener à bien leurs projets d’investissements, base de l’emploi futur et de la croissance, drainer l’épargne, augmenter la liquidité disponible, tout cela est-il vraiment autre chose qu’un service productif de l’économie réelle ?
Ayant accepté, à demi-mots, l’utilité effective des marchés financiers pour financer l’activité économique, ses adversaires en viennent habituellement à contester l’utilité, non de la finance elle-même, mais de la spéculation. Investir, effectivement, est favorable pour l’économie, mais spéculer, disent-ils, est mal.
Une telle affirmation est déjà fausse en ce qu’elle oublie que toute action humaine par laquelle l’homme se projette dans l’avenir est spéculation. Rejeter la spéculation, expliquait ainsi Walter Block cité ci-dessus, revient à rejeter l’action humaine, donc la vie.
MÉCHANTE SPÉCULATION
C’est souvent à l’occasion des bulles ou des hausses spectaculaires du prix de certains actifs qu’on incrimine la spéculation. En réalité, par le mécanisme qu’elle induit, la spéculation provoque précisément l’effet inverse, de sorte qu’en des temps difficiles, les hommes politiques devraient davantage encourager que contraindre la spéculation.
Ainsi, alors que le spéculateur est toujours désigné comme le coupable des hausses fulgurantes des prix, celles-ci auraient été bien plus importantes en son absence. Une étude même tout à fait superficielle de l’histoire économique suffit à montrer l’ampleur de la volatilité des temps d’avant l’apparition des marchés financiers, en comparaison de celle qu’on observe aujourd’hui.
En « profitant », par « égoïsme », des opportunités « d’enrichissement personnel » qui se présentent à lui, en achetant le bien ou l’actif lorsqu’il est excessivement bon marché (donc peu demandé et fortement offert) et en le revendant lorsque son prix atteint des sommets (et qu’il est devenu très demandé et peu offert), le spéculateur agit comme un régulateur naturel, plus efficace qu’aucun gouvernement ne saura jamais l’être.
En aplanissant les fluctuations des prix, il réalise une action éminemment vertueuse : il permet de stocker les biens pendant l’abondance, et de les distribuer lors de pénuries. Des vaches grasses puis des vaches maigres : tel est le monde sans les spéculateurs.
Amenant de la chaleur quand il fait froid, et du froid quand il fait chaud, son action est sans doute bien plus bénéfique pour la société et l’état de l’économie qu’il n’en avait eu initialement l’intention. Aucune pression gouvernementale ne le pousse à agir ainsi pour le bien commun. La Main invisible seule l’y conduit.
PROFITS SOCIAUX
Les profits du spéculateur sont la mesure de son utilité sociale. Le mauvais spéculateur ne prédit pas correctement le mouvement des prix, et donc accompagne et accentue la hausse. Ayant acheté haut, il doit vendre bas et se retrouve avec une perte. Il finira par faire faillite, balayé du marché par de plus aptes concurrents.
Taxer les plus-values de la spéculation ou les mouvements financiers directement, loin d’apaiser l’économie prétendument « réelle », met un frein malheureux à ces effets immensément bénéfiques pour tous. L’accusation de la finance « mondialisée » et des spéculateurs, privée de toute justification économique rationnelle, ne peut être causée que par la volonté des gouvernements de taire leur propre responsabilité.
Car en réalité, les distorsions et la volatilité sur les marchés financiers n’ont que trois causes : les fluctuations réelles des actifs échangés (fondamentaux), l’effet des réglementations gouvernementales, et les conséquences des politiques monétaires menées par les banques centrales.
Cet exposé se dispense d’évoquer la justification morale des marchés financiers et de la spéculation.
Quand bien même la spéculation ne réduirait pas, mais augmenterait la volatilité des prix des actifs, quand bien même les marchés financiers ne seraient pas une fantastique aide, mais un véritable frein au développement de la production, la base philosophique du libéralisme s’opposerait à ce qu’on empêche chaque individu d’investir son argent dans les projets et les actifs de son choix et d’en tirer la rémunération que le niveau de risque accepté lui permet en l’état de réclamer.
Benoît Malbranque, in Libres !, 2012