Déflation : critique du monétarisme et approche autrichienne

La déflation serait sur le retour. Bonne ou mauvaise chose ? Toutes les écoles libérales n’en font pas la même analyse.

Par Marius-Joseph Marchetti.

Pascal Salin

L’inflation et la déflation reviennent sur le devant de la scène avec les craintes d’un retour de la déflation. C’est l’occasion de revenir sur ces concepts comme inflation ou déflation qui ne sont pas source de conflit simplement entre le camp keynésien et le camp libéral, mais également à l’intérieur même du camp libéral entre les autrichiens et les monétaristes.

La règle monétaire qui avait été édictée par Milton Friedman correspond, grosso modo, à une augmentation de l’offre de monnaie par la banque centrale équivalente à une augmentation du volume de production, afin de garantir la stabilité des prix. On ne peut reprocher aux économistes monétaristes d’avoir prouvé que la création monétaire ne débouche sur le long terme que sur de l’inflation, même si celle-ci donne l’impression d’une plus forte activité économique sur le court terme. Voilà pourquoi les monétaristes ont préconisé cette règle monétaire de Friedman. Ainsi les autorités monétaires préviennent à l’avance les acteurs économiques du taux de croissance de la masse monétaire. Les autorités monétaires donnent ainsi des informations fiables et permettent d’éviter l’instabilité qui résulte d’une politique monétaire discrétionnaire, non attendue par les acteurs économiques.

Or il existe des divergences entre les économistes monétaristes et les économistes autrichiens, notamment dans leur explication de la crise. Ainsi, l’économiste Frank Shostak explique : contrairement à Friedman, nous [les économistes « autrichiens »] suggérons que le boom ne concerne pas seulement une augmentation du taux de croissance de l’offre de monnaie ; mais cela concerne aussi l’existence d’activités non productives qui surgissent sur le dos du taux de croissance accru de l’offre de monnaie.1

Cette divergence entre économistes monétaristes et économistes autrichiens montre bien que la solution monétariste n’empêche nullement la formation d’un nouveau cycle et le développement d’activités qui ne serait pas productive en temps normal : comme l’écrit Pascal Salin, « il y a de toute façon création de fausse épargne à partir du moment où il y a création de nouvelle monnaie contre distribution de crédit ». La politique monétaire entraîne un déplacement des ressources des premiers utilisateurs de la nouvelle monnaie par rapport aux derniers utilisateurs.

Elle modifie donc les structures productives de l’économie, celles qui auraient cours si l’État se bornait à ne simplement pas intervenir. Le problème majeur, et qui marque clairement la divergence, n’est pas simplement de lutter contre l’inflation, ce qui est à peu près la seule chose qui intéresse les monétaristes, mais également et surtout d’éviter les modifications d’origine monétaire dans l’appareil productif. En effet, la monnaie n’est pas neutre. L’augmentation de la masse monétaire, même proportionnelle à l’augmentation du volume, entraîne une modification des structures productives de l’économie car les prix n’augmentent ni simultanément, ni de manière uniforme.

Lorsqu’un gouvernement recourt à l’inflation pour faire la guerre, il doit acheter des munitions, et les premiers à recevoir la monnaie additionnelle sont les industries fabriquant des munitions et les gens qui travaillent dans ces industries. Ces groupes sont alors dans des positions très favorables. Les profits et les salaires y sont très élevés, leurs affaires se développent. Pourquoi ? Parce qu’ils ont été les premiers à encaisser la monnaie émise.

Ludwig von Mises, Politique économique

Une chose que nous pouvons également relever vis à vis des économistes monétaristes et des économistes autrichiens est que ces premiers ont relativement peur de la déflation, à l’inverse des autrichiens qui ne craignent la déflation que lorsqu’elle est décrétée (comme pour la crise de 1929) et non pas lorsqu’elle est naturelle (grâce à l’accroissement des gains de productivité). Les disciples de Friedman n’accordent pas beaucoup d’importance à la période précédant la crise. Ils s’intéressent uniquement au fait que la crise est profonde à cause d’une politique monétaire extrêmement déflationniste. Il est vrai qu’au début des années 1930, la politique monétaire déflationniste a aggravé la crise en 1929 (la masse monétaire a diminué de 30% les 3 ans qui ont suivi 1929), mais ceci n’explique qu’une partie de l’ampleur de la crise. Il y a eu environ 40% de baisse pour les prix en gros, et les entrepreneurs n’ont pas pu faire baisser leurs coûts dans les mêmes proportions, tout d’abord car cette politique déflationniste avait été mise en place de manière imprévisible et car ils avaient signé des contrats de travail en accord avec les prix pratiqués à l’époque où ceux-ci avaient été signés, mais pas avec ceux pratiqués à cause de la baisse de la quantité de monnaie. Les monétaristes ne s’intéressent qu’aux conséquences dépressionistes de l’explosion de la bulle et non pas à la formation de la bulle.

Il n’est pas nécessaire de créer de la monnaie et il ne faut pas avoir peur de la déflation. En effet, si nous imaginons une situation dans laquelle la quantité de monnaie reste constante, il y a des baisses de prix dans les secteurs où le progrès technique est le plus rapide.

Pascal Salin

Il y a donc grâce à ces baisses des prix une augmentation du pouvoir d’achat mais également de la valeur réelle des encaisses monétaires (avec une même quantité de monnaie, vous pouvez acheter plus de biens et de services). Pourquoi une augmentation du volume de production devrait-elle s’accompagner forcément d’une augmentation de la masse monétaire ? Pourquoi une masse monétaire stable, n’évoluant que très peu ou pas du tout dans le temps, ne pourrait-elle pas répondre aux besoins de l’économie ? La déflation est la conséquence même d’un réel marché libre. Une augmentation des quantités produites face à une quantité de monnaie stable traduit simplement une amélioration du progrès technique et de plus grands gains de productivité.
Voilà donc la grande divergence entre les économistes autrichiens et les économistes monétaristes. Là où les monétaristes raisonnent sur des agrégats comme le taux d’inflation et la quantité de monnaie, les économistes autrichiens soulignent l’importance des structures productives et les structures de prix.

La meilleure politique monétaire, c’est encore de ne pas en avoir.

  1. Frank Shostak, « Can Friedman’s money rule stabilize the economy ? », Mises Institute, Mises Daily Article, 12 novembre 2008. Cité par Pascal Salin dans Revenir au Capitalisme pour éviter les crises. 

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